1. Le mélange d’influences

Le passé soviétique se manifeste en premier lieu dans des remakes de grands films populaires soviétiques. Ces dernières années, on a pu voir de nouvelles versions de films aussi célèbres en Russie que L'Ironie du sort (Ironia soudby, 1975) et Romance de bureau (Sloujebnyi roman, 1977), tous deux d'Eldar Riazanov. Très régulièrement projetés à la télévision russe, ils sont connus des spectateurs de toutes les générations. En 2011, Sarik Andreassian réalise Romance de bureau, notre époque (Sloujebnyi roman: nache vremia, 2011). Le film de 1977 et son remake racontent l’histoire d’une cheffe de service rigide et peu féminine dont le cœur sera peu à peu dégelé par un collaborateur maladroit mais sincère.

Affiches de Romance de bureau, le film de 1975 et son remake de 2011.

Affiches de Romance de bureau, le film de 1975 et son remake de 2011.

Extraits du début de Romance de bureau d’Eldar Riazanov.

Début de Romance de bureau, notre époque de Sarik Andreassian.

La comparaison des débuts de ces deux films permet de se rendre compte à la fois de l’hommage ostensible que représente le remake, censé rappeler de bons souvenirs aux spectateurs (par la musique, très connue des Russes d’aujourd’hui, et par le ton ironique de la voix over), mais également de ce que le film introduit de nouveau, propre à l’époque actuelle et à sa logique capitaliste (en plus du glacis visuel emprunté au cinéma commercial américain). Alors que le film de 1977 distille une féroce ironie contre l’idéologie et les faux-semblants du quotidien soviétique, celui de 2011 glamourise le quotidien de la Russie d’aujourd’hui et tend à donner raison à la dirigeante trop rigide à travers l’image d'une consommatrice mécontente. Dans le film soviétique, la femme restait la supérieure professionnelle de l’homme, tout en acceptant d’être amoureuse et plus féminine ; dans le remake, l’homme la sauvera professionnellement, l'amour entre eux n'étant possible qu'à la condition que la femme se montre faible et sans défense.

Plus inventives que les remakes, certaines comédies post-soviétiques montrent avec drôlerie et justesse la confrontation permanente de références nationales et historiques avec l’influence occidentale, comme c'est le cas dans Embrassez-les tous ! (Gorko!, 2013) de Jora Kryjovnikov où de jeunes amoureux essaient de mener de front deux célébrations de leur mariage : l’une, empesée à la soviétique, toute de dorures et de toasts à la vodka, comme le souhaitent leurs parents, l’autre suivant la thématique de la Petite Sirène disneyenne, comme en rêve la jeune mariée. Cela produit évidemment un joyeux chaos, chacun des rituels révélant ses aspects grotesques.

Embrassez-les tous ! de Jora Kryjovnikov : la fête « soviétique »...

Embrassez-les tous ! de Jora Kryjovnikov : la fête « soviétique »...

... la fête « occidentale »...
... la fête « occidentale »...


... et le mélange détonnant des deux.

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Auteur : Eugénie Zvonkine, maîtresse de conférence en études cinématographiques et  audiovisuelles et essayiste. Ciclic, 2018.