2. Le passé à repenser et à re-agir

Le cinéma russe contemporain n’a de cesse de revenir vers son passé pour le repenser et pour faire sens à partir de l’expérience soviétique. C’est une des raisons de la quantité impressionnante de films sur la Seconde Guerre mondiale (pour les Russes, la « Grande Guerre patriotique ») tournés ces dernières décennies. La stratégie de l’État russe qui continue à financer massivement le cinéma pousse le Fond Kino, organisme étatique de financement du cinéma, à favoriser les films portant sur de grands personnages historiques de l’époque soviétique, comme Le Temps des premiers (Vremia pervykh) de Dmitri Kiselev, biopic sur le cosmonaute Alexeï Leonov, et Salyut-7 de Kim Shipenko, sur la station spatiale du même nom. Ces deux films sont sortis en 2017, à l’occasion de la Journée des Cosmonautes.

Le cinéma et la télévision russes sont également friands d’adaptations littéraires qui permettent de revenir à des textes essentiels et souvent interdits à l’époque soviétique, ce dont témoigne la série télévisée Le Premier Cercle (V kruge pervom, 2006) de Gleb Panfilov, adaptée du roman éponyme d'Alexandre Soljénitsyne, qui évoque la période stalinienne et l’expérience concentrationnaire.


Le Premier cercle
de Gleb Panfilov.

La volonté de repenser le passé pousse parfois certains cinéastes à mettre en scène des moments qui auraient été impossibles dans la réalité historique, et qui sont une sorte d’exutoire a posteriori (on pourrait comparer cette démarche, à la même époque mais aux États-Unis, à celle d'un Quentin Tarantino dans ses films Inglorious Basterds (2009) et Django Unchained (2012)). Ainsi, dans la série Dégel (Ottepel’, 2013) de Valeri Todorovski, qui met en scène le monde du cinéma au début des années 1960, le héros, un chef opérateur séduisant et talentueux, se permet un geste impossible face à un agent du KGB qui interrompt le tournage d’une comédie musicale.

Extrait de la série Dégel de Valeri Todorovski. Les paroles de la chanson qui ouvrent cet extrait parlent d’attente, de désir, de pardon, d’amour, de tendresse, de fatigue due aux épreuves, de « bleu azur du ciel » et de chant de l’âme.

Si cette séquence exprime le rapport tendre, ironique et quelque peu fasciné du cinéaste au passé et au cinéma qui lui est associé, elle révèle en même temps sa volonté de changer l’Histoire l’espace d’un instant afin de rendre possible un geste de résistance jubilatoire.

SUITE


Auteur : Eugénie Zvonkine, maîtresse de conférence en études cinématographiques et  audiovisuelles et essayiste. Ciclic, 2018.