6. Souvenirs relatifs

Citizen Kane (1941), d'Orson Welles ; Laura (1944), d'Otto Preminger ; Rashomon (1950), d'Akira Kurosawa ; La Comtesse aux pieds nus (1954), de Joseph Mankiewicz ; L'homme qui tua Liberty Valance (1962), de John Ford.
 

Une façon d'affirmer le caractère subjectif du souvenir, contre la tendance du cinéma à tout objectiver et « présentifier », consiste à souligner le point de vue particulier depuis lequel ce souvenir nous est donné. Des films tels que Citizen Kane, Laura, Rashomon, La Comtesse aux pieds nus et L'homme qui tua Liberty Valance, contemporains du cinéma de Hitchcock, doivent leur renommée à la façon dont ils jouent de la relativité des points de vue et de la mémoire. Chez Hitchcock, on trouve des exemples ponctuels d'une démarche narrative comparable, tels que le récit a posteriori du chauffeur de taxi est-allemand dans Le Rideau déchiré, qui donne à voir une scène à laquelle le spectateur a déjà assisté antérieurement sous un angle et d'un point de vue différents.

Mais à l'échelle de films entiers, Hitchcock ne reprit ce principe narratif, à la façon d'exercices de style, que dans certains de ses moyens métrages (de propagande de guerre, ou pour la télévision), comme s'il n'avait pas voulu placer des ouvrages cinématographiques qu'il considérait sans doute comme plus importants dans le sillage des films « à point de vue » cités ci-dessus.

Les exemples les plus marquants de ces moyens métrages « relativistes » sont Bon voyage, dans lequel les souvenirs d'un aviateur écossais en fuite dans la France occupée, dont le récit constitue toute la première moitié du film, sont remis en cause par de nouveaux flash-backs qui révèlent la traîtrise de son compagnon de route...

... J'ai tout vu, dans lequel un accident de la circulation inaugural sera envisagé à travers les souvenirs différents de cinq de ses témoins...

... et C'est lui, dans lequel la mémoire égarée d'une jeune femme victime d'un viol a de terribles conséquences, son mari ayant décidé de punir lui-même le violeur : après qu'elle a formellement identifié une première fois son agresseur dans la rue et que le mari a appliqué à celui-ci sa propre justice, la jeune femme le reconnaît de nouveau dans un autre passant. Gag tragique, le plus terrible sans doute de toute l'œuvre de Hitchcock.
 


NOTA : les références des extraits de films cités sont mentionnées à la fin des montages vidéo qui en sont composés.

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Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2015.