Mourir de peur - 4. Mulholland Drive

Au sein de Mulholland Drive (Mulholland Dr., 2001) de David Lynch, la séquence au restaurant Winkie's forme une parenthèse relativement autonome, même si certains de ses éléments (personnages, lieux) se retrouveront, éparpillés, dans la suite du film.

De cette parenthèse, nous ne tenterons pas de percer à jour les relations de signification avec le reste de ce film extraordinairement crypté : tenons-nous en à la question de la peur.

Dans la mesure où elle est bornée à son début par le plan de la jeune femme qui s'endort, puis à sa fin par un nouveau plan de celle-ci endormie, le spectateur est amené à supposer que la séquence entière représente un rêve de ce personnage féminin. Un rêve au carré, car le jeune homme apeuré y raconte un cauchemar récurrent, or différentes composantes de la séquence (légers mais incessants mouvements de caméra portée, attitude du jeune homme, caractère presque trop familier du décor) donnent à penser que la séquence elle-même est une visualisation du rêve qu'il raconte. La mise à distance de l'impression de réalité est encore accrue du fait que la séquence fonctionne comme la réalisation progressive d'un programme : celui qui est énoncé par le jeune homme apeuré (lui même apeuré par la peur, cf. sa phrase : « ça m'effraie encore plus de voir que tu as peur »), lors du récit de son cauchemar.

Mulholland Drive peut être considéré, entre autres choses, comme une vision ésotérique du cinéma hollywoodien, et de ses ressorts. Dans cette séquence, David Lynch semble mettre en lumière les rouages de la peur cinématographique en tant que cauchemar éveillé. Le schéma « montée en puissance / surgissement », « suspense / surprise » s'y applique avec une netteté parfaite, alors même que la surprise n'en est pas vraiment une, ici, puisque les événements constitutifs de la séquence ont déjà été annoncés, ainsi que son issue. Comme si Lynch disait à son spectateur : le schéma est éprouvé, tout est déjà joué et pourtant, c'est imparable, par empathie avec ce jeune homme qui vit dans la hantise de la concrétisation d'un cauchemar, à ton tour tu auras peur. Un film se répète à l'identique (ou presque) à chaque diffusion, le rêve ou le cauchemar recommencent à chaque fois, et pourtant cent visions de la scène de la douche de Psychose n'empêcheront pas d'être toujours à nouveau effrayé ; voire de l'être encore plus à chaque nouvelle vision, par anticipation.


Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.