Séance 5 - Décrire une sensation

La rencontre avec les films est indispensable dans le cadre d'une approche du cinéma. L'important est avant tout de créer les conditions pour ressentir, comme le souligne Alain Bergala : « L'art, cela ne s'enseigne pas, cela se rencontre, cela s'expérimente, cela se transmet par d'autres voies que celles du discours seul, et parfois même sans discours du tout* ». Face à des films expérimentaux, souvent sans histoire, voir sans personnage, ou composés d'images abstraites, comment exprimer notre sensation ?

L'exercice consistant à décrire des films expérimentaux en classe n'est pas toujours simple, mais il suffit de s'affranchir de nos habitudes, et de voir les films comme ils sont pour éprouver des sensations. La recherche de (dé)figurations, l'aspect de purs collages générant des images inconnues et étranges, les transformations qu'elles subissent, invitent à considérer la composition de ces films comme des jeux d'images. Ils s'encrent dans des formes propices à la sensation, à la réaction : alchimies de couleurs, effets rythmiques, dislocations, mouvements de caméra inventifs, accidents créatifs. Tout cela entraine aisément des remarques, des questions...Ces films, qui s'ouvrent alors volontiers aux commentaires, laissent aux élèves la place à la projection comme sensation.
*Alain Bergala in L'Hypothèse cinéma. Petit traité de la transmission du cinéma à l'école et ailleurs, ed. Cahiers du Cinéma/essais, Paris, 2002, p. 20.

Self Portrait Post Mortem de Louise Bourque

Self Portrait Post Mortem (Canada, 2005, 3 min) s'organise autour d'un rythme lent, autant dans le son que dans les images. Le son s'assimile à une respiration, à un battement doux. Quant aux images, elles dessinent au début une ligne colorée serpentant aléatoirement au centre de l'image. Puis apparaît une sorte d'interstice sombre encadré de granulations brunes et rougeâtres. De cette obscurité centrale apparaît enfin un visage.

On peut se questionner sur le titre de ce film, qui annonce un autoportrait après la mort. De quel portrait et de quelle mort s'agit-il ici ?
Avant de montrer ce film de Louise Bourque, il est intéressant de questionner les élèves sur ce qu'est un autoportrait. Ce terme semble trouver facilement des échos picturaux avec la peinture et la photographie. Mais qu'en est-il du cinéma ? Le cinéaste retourne-t-il sa caméra vers lui ? Que choisit-il de nous raconter de lui ? Quelle utilisation va-t-il faire du son ? Comment le mouvement des images est-il utilisé ?
Le film de Louise Bourque nous plonge dans une matière organique accompagnée par des bruits corporels. Les couleurs brunes ajoutent une sensation d'intériorité, les formes ressemblent à un grossissement de tissus humains, à des matières observées à l'intérieur d'un corps. Leur défilement pourrait évoquer des écailles, ou une carapace d'où émerge un visage. C'est celui de la cinéaste jeune : ce portrait a été filmé par ses parents alors qu'elle était adolescente. Il semble jaillir d'un ensevelissement organique, comme s'il était enfoui sous de la lave. Ce film nous plonge dans un voyage à l'intérieur d'un corps d'où ressort un visage. Le corps en question peut bien sûr être celui de la cinéaste (comme la vision métaphorique d'une renaissance), mais il est aussi celui de la pellicule, matière vivante, vibrante, soumise aux variations de la lumière, des opérations de développement des images. La pellicule (et ses composants : les émulsions photosensibles) réagissent au passage du temps et aux effets chimiques qu'elle subit. Cet autoportrait tisse un lien très étroit entre la cinéaste et la matière même de l'image cinématographique. Techniquement, pour obtenir cette dégradation de l'image, la cinéaste a enterré ce film de famille pendant plusieurs mois.

Atelier autoportrait

Après la diffusion de ce film, il est judicieux de laisser les élèves évoquer leurs sensations personnelles. Ils peuvent noter cela sous la forme d'une liste regroupant les différentes sensations que ce film a produit sur eux.
Le jeu des couleurs dans ce film peut aussi évoquer une saison. Quelle serait-elle ? À partir de là, on peut demander aux élèves de réaliser un autoportrait (ou un portrait) en lien avec les couleurs d'une saison de leur choix. On peut s'appuyer bien sûr sur des peintures (Arcimboldo, Frida Kahlo, Vincent van Gogh, Pablo Picasso, Francis Bacon, Gustave Courbet, Andy Warhol...), des photographies ou des films.


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.