Séance 4 - Faire varier le point de vue (2)

Point de vue et caméra en mouvement

Lorsqu'en 1896 Alexandre Promio, un des opérateurs des frères Lumière, choisit de poser sa caméra non pas au coin d'une rue mais à bord d'une gondole qui glisse le long d'un canal à Venise, il invente ce qu'on appellera plus tard le travelling. C'est le Panorama du Grand Canal pris d'un bateau. Le point de vue reste unique, mais il est mobile. Placée sur un bateau ou sur des rails, dans une voiture ou dans un ascenseur, accrochée à une grue ou simplement portée à l'épaule, la caméra fait défiler le paysage et des espaces de plus en plus vastes apparaissent. Dans Les Fiancées en folie (1925), la caméra accompagne la course du personnage, pourchassé par une foule de prétendantes déterminées. Elle filme la cavalcade effrénée de Buster Keaton et le suit à travers ville, forêt, montagne, révélant dans le même temps la prouesse physique de l'acteur, à la fois coureur de fond et sprinter.

Les Fiancées en folie (Seven Chances, 1925) de Buster Keaton, édité en vidéo par Elephant Films et MK2.

Le point de vue mobile de la caméra guide littéralement le regard du spectateur et renforce l’expression filmique. Lorsque le personnage interprété par John Wayne fait sa première apparition dans La Chevauchée fantastique (1939), la caméra zoome brusquement sur son visage et l'impose au spectateur, une manière de lui dire : « Retenez bien ce visage, c'est celui d'un personnage central de l'histoire du film » — et, peut-on ajouter rétrospectivement, « cela pourrait devenir celui d'un acteur important de l'histoire du cinéma ! »

La Chevauchée fantastique (Stagecoach, 1939) de John Ford, édité en vidéo par les éditions Montparnasse.

Point de vue et montage : du point de vue unique à une multiplicité de points de vue

Le montage (assemblage organisé des plans d'un film) permet de sortir du point de vue unique. D'un plan à l'autre, le point de vue varie et cette multiplicité dote en quelque sorte le spectateur du don d'ubiquité : son champ de vision est élargi, il peut se déplacer imaginairement d'un espace à un autre, d'un temps ou d'une époque à une autre, circuler à travers le film au gré des différents points de vue et prendre ainsi une part active à sa construction et à sa narration.

Point de vue à 360° : le champ-contrechamp

Le champ-contrechamp est une figure de montage (cf. la partie du parcours pédagogique d'Upopi consacré aux raccords qui en traite) qui met en relation deux espaces en alternant un plan dit « champ », filmé selon un premier point de vue, et un autre plan dit « contrechamp », filmé selon le point de vue « opposé » au premier.

Le champ-contrechamp est très souvent utilisé dans les scènes de dialogue. Un personnage A voit un personnage B, qui symétriquement voit A. Le spectateur voit alternativement A et B en une sorte de vision à 360 degrés. La caméra montre tour à tour ce qui correspond peu ou prou aux champs de vision (généralement opposés spatialement) de chacun des deux personnages.

Dans les deux images suivantes extraites du film Winchester '73 (1950), l'axe des regards et les cadrages en plongée puis en contre-plongée soulignent le champ-contrechamp et renforce la mise en relation des deux personnages.

Winchester ‘73 (id., 1950) d’Anthony Mann édité en vidéo par Sidonis Calysta.

Dans l'exemple suivant extrait de nouveau du film Les Fiancées en folie, la première image montre la situation dans laquelle se trouvent les personnages et leurs positions respectives dans l'espace : le point de vue est objectif, « extérieur ». La deuxième et la troisième images épousent successivement le point de vue des personnages. La vache, vue en contrechamp par Buster Keaton, apparaît à l'envers, car Buster la regarde la tête en bas. Il s'agit ici d'un point de vue « subjectif » : le spectateur doit avoir l'impression de voir à travers les yeux du personnage interprété par Keaton. Dans ce très court passage, le spectateur se voit proposer d'adopter trois points de vue différents.

Les Fiancées en folie (Seven Chances, 1925) de Buster Keaton, édité en vidéo par Elephant Films et MK2.

Activité : créer une multiplicité de points de vue

Objectif : mettre en évidence les différents points de vue possibles sur un même personnage ou sur un même objet.

Matériel : appareil photo.

Consignes : travail en petit groupe de cinq ou six participants.

On peut procéder de la façon suivante :

. choisir une personne ou un objet et la/le placer à un endroit fixe. Cette personne ou cet objet sera le point de convergence de tous les regards.
.
demander aux autres membres du groupe de se placer autour de la personne ou de l'objet. Chaque photographe doit choisir une distance et un angle de prise de vue différent.
.
faire une photo d'ensemble montrant l'emplacement et la position de chacun.

Regarder collectivement les images ainsi réalisées. Comparer les photos individuelles et la photo d'ensemble.

SUITE


Autrice : Delphine Simon-Baillaud, enseignante de cinéma et vidéaste.
Supervision : Jean-François Buiré.
Ciclic, 2019.