Séance 2 - Le regard du filmeur

Cette séance s'intéresse à la façon dont les images d'archives constituent une source d'informations quant à celui ou celle qui les a tournées.

Le contexte de croyance dans la science et la technologie dans lequel naît la prise de vue animée, à la fin du XIXe siècle, prête à cette invention des vertus d'objectivité. Dans ce sillage, les documentaires télévisés utilisent souvent de manière illustrative les images d'archives en ne se penchant que rarement sur les partis pris qu'elles véhiculent, à l'instar des informations télévisées qui prétendent montrer une réalité objective. L'image est alors rarement la source à partir de laquelle on envisage l'histoire, mais l'illustration d'une histoire déjà écrite.

Pourtant, les images du passé témoignent avant tout du regard que ceux qui les ont tournées — amateurs, opérateurs de prises de vue, journalistes ou réalisateurs — ont porté sur leur présent. Ces prises de vues dévoilent sous un certain jour, et à des moments précis, des pans de la réalité qu'ils ont rencontrée, tout en laissant de côté l'immense majorité de ce qui les entourait. Entre le filmeur et ce qui l'entoure, il y a une caméra : comment s'en sert-il ? Vers où la dirige-t-il ? Avec quelles intentions ?

Cherchons donc à déchiffrer ce que les images nous disent de ceux qui les ont faites. Dans tel film sur ce concours de pêche de Montlouis-sur-Loire au travail ou dans telle prise de vues d'Orléanais parcourant leur ville détruite en 1940, il s'agira de déceler toutes les données visibles, ou implicites, qui pourront nous renseigner quant à la personne qui tient la caméra, la manière de filmer donnant autant d'indices que ce qui est filmé. Cela doit permettre d'aborder la question des différences entre les images dites amateurs et les images dites professionnelles, différences ténues dans le cas d'amateurs réalisant des actualités ou des reportages locaux, de cinéastes filmant des sujets intimes ou encore de rushes filmés sur le vif et sans grande rigueur par certains reporters.

Les indices sont à chercher dans le rapport du filmeur avec la prise de vues (quelle maîtrise a-t-il de la grammaire filmique ?) et dans la fonction assignée à ses images. Indices des codes d'une profession, ou marques plus intimes ? Selon les cas, ce sont des figures d'hommes dans l'exercice de leur fonction ou des portraits plus personnels qui se dessinent en creux.

Le film d'Henri-François Imbert Sur la plage de Belfast (2000) propose une réflexion poétique très intéressante sur ce sujet. Le réalisateur part à la recherche de la famille qu'il a « rencontrée » à travers les images d'une bobine trouvée dans une caméra Super 8 qu'on lui a offerte. Le film commence par les images de cette famille sur une plage et se poursuit par l'enquête qui mène Henri-François Imbert à Belfast. Ce dernier finit par retrouver l'ensemble des personnes qui apparaissent sur la pellicule, à l'exception de celui qui filmait, qu'on ne voit jamais et qui est décédé. Comme trace de ce dernier, il ne reste que le regard qu'il portait sur les siens.

1re activité : Qui est celui qui filme ? (15 min)

Matériel nécessaire :

Préparer plusieurs courts extraits de films de différentes natures, dont les filmeurs ont été identifiés : actualités cinématographiques, film de famille, enregistrement de manifestations villageoises, informations télévisées, etc.

Déroulement :

Projeter les extraits, puis formuler toute une série de questions susceptibles de faciliter l'identification d'indices permettant d'imaginer qui étaient les auteurs de ces images.

Nature des images du filmeur
  • Comment filme-t-il ? Avec un trépied ? À l'épaule ? Bouge-t-il beaucoup ? Quel type de caméra utilise-t-il ?
  • La mise au point est-elle précise ?
  • Quelle est la qualité du grain de l'image ? (Certaines pellicules Super 8 ont un grain très grossier qui ne permet pas de distinguer précisément les traits des visages, par exemple.)
  • S'agit-il d'un tourné-monté, ou les images sont-elles montées après coup ?
  • Étudier l'échelle des prises de vues (plan serré, large, américain, etc.) et les angles adoptés. Comment les plans se terminent-ils ?
  • La caméra est-elle une simple extension de ce que le filmeur aurait pu regarder à l'œil nu, ou peut-on déceler une conception préalable des prises de vues ?
Relation du filmeur avec les personnes filmées
  • Connaît-il les personnes et les lieux filmés ? Quels liens entretient-il avec eux ? Comment peut-on le déterminer ?
La fonction des images
  • Le filmeur est-il payé pour produire ces images ? À quoi sont-elles destinées ?
Éléments de portraits
  • A-t-on des précisions quant à la personne qui se trouve derrière la caméra : est-ce un homme ou une femme ? De quel âge ? De quel milieu social ?

2e activité : Portraits imaginaires de filmeurs (30 min)

Matériel nécessaire :

  • des feuilles blanches, des crayons et feutres de couleurs
  • une image fixe imprimée extraite de chacune des archives.

Pour cette activité, on choisira quelques extraits d'archives filmées par des amateurs donnant beaucoup d'informations sur ces derniers.

Utiliser par exemple cette bobine complète, sans donner d'indications quant au filmeur.

À propos des films amateurs, il faut préciser qu'une grande partie d'entre eux étaient tournés en extérieur et par beau temps, pendant les vacances ou dans des circonstances marquantes (naissances, anniversaires, réunions familiales). Les pellicules n'étaient généralement pas assez sensibles pour filmer en intérieur, elles étaient très courtes (en général d'une durée de trois minutes) et assez coûteuses à faire développer. De plus, le quotidien était rarement considéré comme digne d'intérêt. On se contentait de filmer quelques plans, et la pellicule restait dans la caméra jusqu'à la prochaine sortie ou jusqu'aux prochaines vacances. Ainsi, nombreux sont les portaits de familles tous sourires, en pleine célébration ou activité de loisirs, loin de la routine quotidienne et laborieuse, loin peut-être aussi des tensions et des drames qui jalonnent l'existence. Souvent, ces traces nous renseignent davantage sur les souvenirs que les gens tenaient à conserver en images que sur leur histoire.

Déroulement :

Les extraits sont répartis entre les participants (le même extrait peut-être attribué à plusieurs d'entre eux) et visionnés avec la consigne d'établir, après la projection, une fiche d'identité imaginaire de chacun des filmeurs, en précisant les points suivants :

  • nom
  • date de naissance
  • âge au moment du filmage
  • sexe
  • nationalité
  • taille
  • situation de famille
  • travail
  • lieu de résidence
  • caméra utilisée
  • raisons pour lesquelles il/elle filme, etc.

Les participants doivent ensuite tenter de faire le portrait dessiné de chaque filmeur.

Portraits et fiches d'identité sont accrochés à côté d'une image fixe de chacun des extraits. Chacun des auteurs d'une fiche d'identité lit celle-ci pendant que l'archive concernée est de nouveau projetée.

3e activité : La biographie d'un filmeur (15 min)

Matériel nécessaire :

  • biographie réelle du filmeur d'une des archives montrées lors de la 2e activité de la présente séance (on peut utiliser le travail biographique réalisé par certains centres de documentation, ou l'effectuer soi-même si l'on a accès à des archives privées).
  • petite sélection d'extraits de films de ce cinéaste amateur.

Par exemple, sélectionner différents extraits de films d'Emile Lauquin.

Déroulement :

L'intervenant raconte la biographie réelle du filmeur des archives montrées lors de la 2e activité, en s'appuyant sur quelques courts extraits de ses films.

 

Autrice : Amandine Poirson, réalisatrice. Supervision : Jean-François Buiré. Ciclic, 2015.