Séance 8 : Noir et blanc et couleurs

Lors des séances précédentes, on a constaté que la couleur, au cinéma, était souvent considérée et utilisée soit en opposition soit en complémentarité avec le noir et blanc et les nuances de gris. Il faut savoir que lorsqu'on tourne un film en noir et blanc, les acteurs, les décors, eux sont en couleurs. C'est la pellicule qui ne sait pas (encore) capter ces couleurs (le tournage en couleur se généralisera dans les années 1950). Que se passe-t-il lorsqu'on filme ou que l'on photographie des couleurs avec un appareil qui les enregistre en noir et blanc ? Les couleurs disparaissent et laissent place à des nuances de gris qui vont du noir profond au blanc éclatant.

Un grand acteur du cinéma muet en noir et blanc, Lon Chaney, très connu pour son savoir-faire en matière de maquillage et de transformation (on l'appelait « l'homme aux mille visages »), explique très bien comment jouer avec les couleurs du maquillage pour constituer une image en noir et blanc :
« La nécessité du maquillage au cinéma fut évidente dès l'origine, mais les principes du maquillage théâtral s'adaptaient mal à ce nouvel art. Les acteurs découvrirent que le maquillage de théâtre apparaissait tout différemment dans les films. Le rouge, l'orange et le brun, une fois photographiés, donnaient du noir ; le bleu, le rose, le jaune et le mauve donnaient du blanc. Des joues roses se muaient en gris sale, les plombages dorés trouaient les dents de marques sombres, les taches de rousseur « agglutinaient » plus de noir que l'œil n'en pouvait supporter ; les artifices appliqués selon la méthode théâtrale, sous l'œil impitoyable de la caméra, devenaient grotesques. À force d'expérimenter différentes couleurs, les acteurs découvrirent que le rose nuancé de bleu supportait mieux la photographie et, aujourd'hui, certaines stars utilisent un maquillage qui apparaît pourpre. Les femmes, en particulier, comprirent qu'en appliquant les lois de la cinématographie, le maquillage leur permettait de corriger les défauts du visage. Par exemple, de nombreuses actrices colorent leurs paupières supérieures en vert, ce vert devient gris pâle à l'image et permet aux yeux protubérants de perdre un peu de leur relief. Un double menton peut être particulièrement atténué par une certaine nuance de rouge qui, passant à l'image pour un endroit plus sombre du visage, plonge le menton malencontreux dans une ombre apparente. Du rouge sous le nez projette une ombre optique, et diverses couleurs modifient les yeux jusqu'au résultat désiré pour le film. » Cinémathèque n° 12 – 1997, Paru initialement dans L'Encyclopedia Britannica, article « Motion Picture », 1929, p. 863. Pour en savoir plus sur Lon Chaney, on peut consulter ce site Internet, (en anglais).

Atelier

S'inspirant de ces explications, il est tout à fait amusant de mettre en place un atelier maquillage et costume pour expérimenter ce que donne une prise de vues en noir et blanc. Le bleu ciel devient-il du gris clair ? Le rouge devient-il du noir ? Un clown coloré devient-il un être effrayant s'il est filmé en noir et blanc ? Avec un Ipad ou de nombreux logiciels basiques (Powerpoint par exemple), on peut modifier les teintes d'une photographie : passer du noir et blanc à la couleur, en les saturant plus ou moins, on peut utiliser des filtres. Il est divertissant de voir à quel point l'ambiance d'une image change en fonction des teintes qui prédominent.

L'un des tout premiers dessins animés en couleur de l'histoire du cinéma, Des arbres et des fleurs, met en scène l'opposition, le combat, d'un monde coloré vivant (la nature printanière) avec un monde terne et mortifère (qui, s'il n'est pas en noir et blanc, s'en approche par son caractère terne). Observez bien le film et découvrez comment, si l'on associe souvent le noir (ici des corbeaux) au danger, au mal, à la mort, la couleur (le rouge orangé du feu) peut à son tour devenir dangereuse et envahir et détruire un univers harmonieux. Tout est question d'équilibre.


Parcours conçu par Suzanne Hême de Lacotte (avril 2015)