French Kiss - Pistes pédagogiques

Vitesses

French Kiss frappe d'abord par un choix formel surprenant : filmer à la vitesse de 21 images par seconde au lieu des 24 ou 25 habituelles ( cf. « Entretien »). Cette caractéristique, ayant pour effet d'accélérer le rythme du film, permettra de se pencher sur un élément essentiel du proc édé cinématographique : un film est une série d'images fixes enregistrées à une vitesse régulière à laquelle doit être conforme la vitesse de projection. Avant l'a pparition des caméras à moteur, les opérateurs faisaient défiler la pellicule devant l'obturateur en tournant une manivelle, et ce geste manuel créait parfois des irrégularités de vitesses. Pour les aider à trouver le bon rythme et à conserver une certaine régularité, on leur conseillait de fredonner la chanson La Sambre et Meuse. C'est justement cette musique que l'on entend pendant les génériques de début et fin de French Kiss, comme un clin d'œil au cinéma des origines. Cette accélération rappelle également le rythme de certains films burlesques (ceux de Chaplin ou Keaton, par exemple). Ces films étaient pour la plupart tournés en 16 ou 18 images par seconde, et ce que l'on croit être un effet comique est donc en partie dû à un décalage entre la vitesse d'enregistrement de l'époque et la vitesse de projection actuelle (24 images par seconde au cinéma, 25 à la télévision). C'est ce décalage que reproduit volontairement Antonin Peretjatko dans French Kiss.

Au-delà de ces questions techniques importantes, on pourra étudier comment la vitesse joue souvent un rôle essentiel dans la comédie. Chez Buster Keaton, Charlie Chaplin ou Harold Lloyd, l'enchaînement très rapide des gags correspond à la fuite constante des personnages, aux courses pours uites qu'ils provoquent et à leur utilisation de nombreux moyens de locomotion (pour Keaton, voir Le Mécano de la Générale - 1927 ; pour Chaplin, Le Cirque - 1928 ; pour Harold Lloyd, Monte là-dessus - 1923). Certaines comédies parlantes se caractérisent par la vitesse de leurs dialogues, La Dame du vendredi de Howard Hawks (1940) en est l'exemple le plus connu. D'autres comiques jouent au contraire sur la lenteur. C'est le cas de Laurel et Hardy, inventeurs du « slow burn » (que l' on peut traduire par « combustion lente »), technique consistant à étendre le gag dans la durée en ralentissant le temps d'action et de réaction des personnages. On trouvera d'autres grands exemples de gags « slow burn » dans The Party de Blake Edwards (1968) avec Peter Sellers.


 « Images documentaires »

Comme Maurice Pialat dans L'Amour existe, mais de façon bien différente, Antonin Peretjatko démontre qu'il n'y a pas de réelle opposition entre ce que l'on appelle le documentaire et la fiction. On pourra étudier la manière ironique avec laquelle il utilise à deux reprises des images documentaires. D'abord avec les plans du défilé du 8 mai, qu'il intègre dans son récit et soumet à son rythme en les accélérant et en les hachant par le montage. Il utilise ainsi les moyens du cinéma pour accentuer la part de mise en scène contenue dans cette cérémonie, jusqu'à la ridiculiser (cf. « Analyse de séquence »). Plus tard, un carton nous annonce des « Images documentaires ». Ce qui suit est pourtant une scène jouée dans laquelle deux hommes discutent de leurs affaires devant la Bourse. Ce carton ironique suggère que ce dialogue écrit est aussi vrai, ou même plus vrai, qu'une conversation saisie par hasard. C'est aussi une façon d'affirmer que comédie et caricature peuvent révéler quelque chose de la réalité. Cette dimension est également sensible dans les constantes allusions à l'actualité politique qui ancrent le film dans son époque.


Jean-Luc Godard

French Kiss s'apparente à certains des premiers films de Jean-Luc Godard. Kate rappelle Jean Seberg dans À bout de souffle (1959) et l'idiotie des deux garçons évoque Les Carabiniers (1963). Comme Godard, Peretjatko créé une distanciation en nous rappelant constamment que nous sommes au cinéma, par des fermetures à l'iris, des insertions de textes. Comme Godard, il se soucie peu des transitions. Son montage est brusque et parfois haché par des jump cuts, c'est-à-dire des coupes dans un plan continu (cf. Jacques Chirac au défilé du 8 mai, Seb préparant le boudin). Dans À bout de souffle, Godard fut l'un des premiers à utiliser cette technique de façon délibérée. Comme lui, Peretjatko pratique la digression et le collage (allusions à l'actualité, images documentaires, cartes postales, etc.). Le film de Godard dont French Kiss est le plus proche est Une Femme est une femme (1961), comédie sur les amours d'un trio parisien nourrie de références cinématographiques, de blagues potaches et de jeux de mots, alternant également scènes d'appartement filmées sur pied et scènes de rue d'un style quasi documentaire. Bien sûr, il faudra relativiser ces comparaisons, Peretjatko ne s'inspirant que de la part la plus superficielle des films de Godard, dont l'humour est toujours un contrepoint au sublime.

Marcos Uzal, 2005