Propos du réalisateur

Un concours de circonstances m'a amené à traiter trois fois le thème de Faust. D'abord avec Le Sujet du tableau (1989 — une commande pour un long métrage à plusieurs réalisateurs mais qui n'a pas abouti) ; ensuite avec La Course à l'abîme (1992), ce court métrage étant d'ailleurs parti d'une séquence cyclique du Sujet du tableau ; enfin, quelques années plus tard, avec L'Homme sans ombre, suite à lalecture du livre d'Adelbert von Chamisso, L'Étrange Histoire de Peter Schlemihl. À dire vrai, je ne connaissais pas ce texte : une amie me l'a recommandé, des idées visuelles sont venues. J'ai, par exemple, voulu que le magicien ressemble un peu au diable, incarné par Jules Berry, dans Les Visiteurs du soir (1942), de Marcel Carné. L'Homme sans ombre se passe d'ailleurs dans les années quarante.

Rythmes

Les contes également influencent beaucoup le scénario de mes films, car les contes peuvent se résumer plus facilement avec des images. D'autant que les contes usent du changement, de la métamorphose — tout comme les mythes — qui sont une particularité du film d'animation, sa spécialité. Je cherche souvent à en créer. Qu'est-ce qui pourrait se transformer, et comment ? Raccord de forme, souci de lier la narration dans l'image, c'est également pour cette raison que je fais des films qui sont des plans-séquences.
Le rythme, c'est la relation qu'il y a entre le film d'animation (surtout sans dialogue) et la musique. La bande sonore est essentielle dans mes films d'animation : musique, bruits, effets... Elle ne doit pas se contenter d'illustrer, d'autant que je ne fais jamais parler mes per sonnages. Ou alors, je n'envisage que des paroles chantées ou déclamées. Tout l'intérêt se porte alors sur le dessin, le son et le mouvement.

Influences animées

Le premier film d'animation qui m'a fortement impressionné pour l'atmosphère onirique reste Les Jeux des anges (1964) d'un cinéaste franco-polonais, Valérian Borowczyk, mais également les films de Norman McLaren pour leur inventivité : je pense surt out à Caprices en couleurs (1949). Pour préparer un film, je prends des notes, fais des croquis, puis un story-board et, enfin, un résumé des intentions. Ensuite, pendant de nombreux mois, je mets au point le line test*, avec ou sans la musique. À ce stade, l'essentiel est terminé, le montage, l'animation (un dessin sur deux) — attention, ces dessins sont encore des croquis. Pour finir, je réalise les dessins ou peintures. Le tournage est l'affaire de quelques semaines. J'utilise des cellulos qui ne se déforment pas sous l'effet de l'eau et qui permettent de reporter les dessins grâce à leur transparence. J'ai dessiné environ huit milles peintures pour la mise en image de L'Homme sans ombre. Dans ce total, j'inclus les ombres qui sont dessinées séparément pour être filmées en surimpression, ce qui donne la transparence.

Cube

C'est un cube qui ouvre L'Homme sans ombre. Un volume simple qui tourne sur lui-même dans le sens inverse des aiguilles d'une montre avec son ombre portée qui, elle, tourne dans la direction inverse. Tout le début est construit sur ce principe — avec quelques entorses à ces deux contraintes dans la partie en couleur surtout. Pourquoi ? Par jeu, pour mettre en évidence l'ombre et créer une ambiance étrange. Le décompte s'arrête à trois comme les amorces ; c'est le chiffre qui correspond au bip sonore, le point de synchronisation son-image.

Né en 1944 à Reconvilier, Georges Schwizgebel est aujour d'hui considéré comme l'un des plus grands réalisat eurs de films d'animation suisse. Après quelques années passées à l'École des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs de Genève, section graphisme, il fonde en 1971 le studio GDS avec Claude Luyet et Daniel Suter. À partir de là, Georges Schwizgebel alterne travaux de commande et films d'animation à la facture très personnelle. Authentique artisan de l'image — il fait tout, du scénario au montage en passant par les prises de vues —, Schwizgebel a réalisé de nombreux courts métrages primés dans divers festivals à travers le monde. Alliant les arts (musique, peinture et cinéma) à des récits fantastiques et poétiques, il offre des films sans dialogue, constitués idéalement d'un plan-séquence. Après L'Homme sans ombre, le cinéaste a mis en image Jeu (2006), un petit court de quatre minutes d'une grande virtuosité où tout se change et se métamorphose sur une musique de Prokofiev.