Mouvementer la peinture

Dans L'Homme sans ombre, reflet, silhouette, ombre, tout se fond, glisse, se liquéfie grâce à la technique mise en œuvre : la peinture. Comme une pâte à modeler qui ne cesse de redéfinir les contours de la forme improvisée, les coups de pinceaux changent, métamorphosent le décor et les personnages. Le fond même de l'image est mouvant, ne se repose pas, la peinture est animée — ou plutôt mouvementée. Georges Schwizgebel lie les plans par des mouvements ou des transformations dessinées. Cet incessant devenir de l'image, qui caractérise l'œuvre du cinéaste, définit le mieux le cinéma d'animation : changement, transformation, métamorphose, un perpétuel bouleversement. Les peintres qui peuvent être cités ici — Hopper, Escher et de Chirico — offrent tour à tour le réalisme austère cher au premier, les multiplications de points de vue sur une forme pour le deuxième et le décor fortement architecturé pour le troisième. À cela s'ajout ent des renvois à l'expressionnisme allemand (ombres projetées, dégradé de gris, évocation de sentiments par le biais de la structure et de paysages). 

Il existe plusieurs techniques de peinture animée, cette dernière ne pouvant être confondue avec le film peint, procédé qui applique directement sur la pellicule les couleurs : lavis, plume, gouache, pastel, acrylique, peinture à l'huile (employée par Georges Schwizgebel), aut ant de façons de bouleverser le voir et de mouvementer des éléments picturaux. Papier, toile, calque, verre sont également des supports variés pour configurer fond et forme. Le cinéaste a travaillé sa technique avec des brosses sur lesquelles il a étalé la couleur, image après image. Il a superposé des cellulos pas entièrement peints, n'intervenant que sur la nouvelle image en corrigeant uniquement ce qui devait changer. Ainsi le spectateur peut apercevoir les anciennes images, empilées les unes sur les autres, un bref instant, d'où cette sensation de fluidité. Cependant, la séquence du milieu (lorsque les tableaux se succèdent), est constituée de déplacements et de fondus enchaînés sur des décors avec souvent un premier et un deuxième plans qui bougent à des vitesses différentes pour donner l'illusion de la profondeur. Peu d'animation à ce moment-là. 

La peinture animée chez Schwizgebel n'est pas seulement une technique pour illustrer un récit mais une façon d'aborder un thème avec une mise en image unique. L'ombre reste un élément à la fois défini et insaisissable ; elle est un élément mouvementé, et cela suivant les directions de lumière. L'ombre peut de même trouver dans sa propre forme, qui logiquement suit les contours de son propriétaire, d'autres formes en puissance, grâce encore aux jeux de lumière et d'ombre. Elle peut donc être menaçante, gigantesque, minuscule, jouant de la taille et de la projection. C'est toutes ces possibilités que l'homme perd en perdant son ombre.


Carole Wrona, 2007