Les Miettes - Ateliers

Anachronismes

L’ère du cinéma muet s’est étendue de 1895 à la fin des années 1920. Les Miettes renvoie à l’esthétique de cette période mais s’en écarte parfois en termes de choix décoratifs ou formels, comme pour indiquer aux spectateurs que le film et son discours politique ne sont pas figés dans un passé lointain. A travers les objets qui composent le décor, des strates de passé dessinent une histoire de la condition prolétarienne au XXe siècle. Au hasard, nous trouvons : un meuble en formica caractéristique des années 1950, un supermarché et sa muzak très années 60, une cafetière rescapée des années 70, l’emballage plastifié de la tarte typique des années 90, l’usine aseptisée d’un XXIe siècle de science-fiction, etc. Stylistiquement, contribuent également à cette hétérogénéité l’apparition finale de la parole et la modification du registre de jeu des acteurs qui en résulte. Autant d’anachronismes que l’on ne saurait mettre sur le compte d’un décorateur peu professionnel ou d’un réalisateur inconséquent.

Faire avec les élèves la liste des objets anachroniques devrait permettre de souligner l’universalité et l’atemporalité du propos du réalisateur. Cet exercice a pour ambition de faire comprendre aux élèves le choix politique d’un style cinématographique en apparence désuet.


De la forme vers le fond 

Le titre d’une œuvre doit toujours être pris en considération. Dans un premier temps, la protagoniste du film s’émiette. A l’usine, son corps se dissout dans l’ombre, où il est découpé par le cadrage trop serré. La narration est également en miettes : soit l’aiguille de l’horloge de l’usine tourne trop vite, soit les jours se suivent et se ressemblent à l’excès. A la fin du film, l’évolution est radicale : chaque jour est remplacé par une saison différente.
Au fil du film, la femme se reconstitue car elle est filmée en pied et en pleine lumière ; les décors deviennent moins parcellaires, la narration plus fluide grâce à des plans plus longs, etc. Le résultat laisse espérer un relatif bonheur.

Il s’agit de rendre sensible aux élèves l’existence d’une mise en scène intégralement pensée et stylisée par le réalisateur. L’exercice analytique doit revenir au rapport entre la forme et le fond. Les élèves pourraient relever les éléments plastiques ou narratifs établissant une correspondance entre l’évolution des personnages, la transformation des cadres et la durée des plans.

De la nature des choses 

Les Miettes traite de la naissance d’un couple, à moins que ce ne soit plutôt un trio. Une troisième donnée s’est immiscée dans la relation : la nature. Elle éclaire sous un nouveau jour les personnages au départ éteints qui se rencontrent en son sein. L’absence de cloisons qui y prévaut démontre à quel point la femme en était prisonnière. D’ailleurs, l’espace gagné offre aux corps des mouvements de caméra libératoires. Comblant harmonieusement les vides physiques entre la femme et l’homme, elle fait éclore le couple. Elle est traitée de façon expressionniste car elle exprime les sentiments cachés, les idées refoulées et les envies ignorées. Ainsi, elle traduit les envies de suicide du vagabond en devenant obscure et s’éclaire dès qu’une lueur d’espoir apparaît.

Les élèves pourraient relever toutes les apparitions de la nature et dire pourquoi elle commente l’action plus clairement que ne l’auraient fait des dialogues.

Histoire sans paroles

A l’occasion d’une ressortie en 1942, Charlie Chaplin a sonorisé son film muet La Ruée vers l’or (1925) : il y a introduit des bruitages et surtout un narrateur omniscient commentant l’action, parlant pour les protagonistes et rendant même explicites leurs pensées.
De même, on peut faire rédiger par les élèves un texte de narration pour Les Miettes. Celui-ci doit révéler ce qui est de l’ordre de l’implicite et même du subjectif, mettre en avant son propos social sans oublier sa dimension burlesque.
Le narrateur ne doit pas rendre l’image superflue mais la compléter en laissant des temps de respiration pour que l’image prenne tout son sens. Un chronométrage de la durée de chaque séquence est nécessaire afin de calquer le commentaire sur celle-ci.
Selon les moyens techniques disponibles, on diffusera le film et un narrateur lira le texte en direct, ou bien on enregistrera la voix sur la bande sonore du film avec un ordinateur et un logiciel de montage.

Nachiketas Wignesan, 2009