Mic Jean-Louis - Analyse du film

Comme son personnage principal, Mic Jean-Louis est un film à plusieurs facettes : réaliste et fantastique, contemplatif et poétique, drôle et mélancolique. Ainsi que son titre l’annonce, il s’agit d’abord du portrait de Jean-Louis Mic, homme à tout faire dans un village du Gers. Mais qui est vraiment Jean-Louis ?

Question documentaire

Le film ne répondra pas vraiment à cette question, préférant garder une part de mystère quant à ce personnage bien réel autour duquel la réalisatrice construit sa fiction. Si, à son début, Mic Jean-Louis s’amuse de la question documentaire, tout le film est finalement pris dans ce double mouvement, entre documentaire et fiction, qui lui donne sa tonalité particulière. L’ensemble du texte en voix off étant documentaire (Jean-Louis y raconte vraiment sa vie), peu importe de savoir ce qui relève du réel et ce qui relève de l’invention. Il y a là un jeu d’équilibre, le film marchant sur le même fil que Jean-Louis, qui est lui-même un funambule, à la frontière entre deux mondes, toujours entre deux maisons, entre deux petits boulots, à la recherche de stabilité : "On sera mieux équilibrés", dit-il à Claire, sur la mobylette, après lui avoir expliqué comment se tenir à lui. "Je me sens un peu instable", annonçait-il un peu plus tôt, en parlant de son statut particulier. Car Jean-Louis est dans la marge, ce que la réalisatrice traduit par une série de décalages entre lui et les autres personnages. C’est ainsi que contrastent son jeu et celui de Claire. Jean-Louis adopte une forme de non-jeu tandis que Claire joue un personnage fictif, conformément à ce qu’exige son statut d’actrice professionnelle. Claire apparaît parfois étonnée, voire stupéfaite, dans ses conversations avec Jean-Louis. Cette surprise découle-t-elle des réponses écrites et scénarisées qu’il donne à ses questions, ou est-elle provoquée par le jeu décalé de son partenaire ?

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah

Régimes d’images

Au fil de sa narration, le film construit une relation entre Jean-Louis et Claire, scénarisant de façon de plus en plus explicite les liens qui se nouent entre eux. Ne cesse de s’intensifier ainsi la tension réalité/fiction, le spectateur ayant renoncé depuis longtemps à démêler le supposé vrai du prétendu faux. Jean-Louis rêve… de sa famille ? du désir d’un mariage ? — selon Kathy Sebbah, il rêve de sa famille (cf. l’entretien), mais une ambiguïté subsiste sur l’interprétation de ce rêve, qui ressemble aussi à des noces. En nous donnant accès à ce dont “rêve” Jean-Louis dans ses moments de pause (dans sa chambre plusieurs fois, au bord de la route, sous les arbres, etc. ), la réalisatrice nous fait entrer dans un régime d’images mentales, dans une intériorité qui continue, malgré tout, à nous résister, à demeurer indéchiffrable. Puis survient l’accident : le fil se casse et le film bascule, transformant Jean-Louis en fantôme l’espace de quelques plans.

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah

Fantômes

Car il est beaucoup question de fantômes : de ceux évoqués par Claire lors de la conversation dans la cuisine (les fantômes qui "hantent" sa maison, chargée de souvenirs), de ceux aperçus par Jean-Louis dans sa chambre (les "visions" nées de sa solitude), enfin du protagoniste lui-même, issu d’un fantôme. En effet, à l’origine du personnage de Jean-Louis se trouve un autre homme, décédé (cf. l’entretien), dont l’ombre plane à la fois sur le film et sur la personne qui l’a remplacé. Pour finir, dans la scène de “délire“ consécutive à son accident, Jean-Louis apparaît sur le terrain de pétanque comme une sorte de revenant, de mort ambulant, tel un Lazare du Gers. La dimension mystique du personnage, évoquée à plusieurs reprises (le surnom “Jésus”, la réplique du vieux paysan — "vous auriez fait un bon curé"), fait retour sur un mode surnaturel. Les spectres apparaissent là où on les attend le moins, depuis le cœur même du réel, métamorphosant le court métrage en un vrai film fantastique : par glissement progressif d’une part, par une intrusion plus violente du mystère et de l’inexplicable d’autre part (la fleur de sang). Mais c’est bien dans la réalité que le fantastique s’origine, la cohérence et la banalité finissant par se désagréger pour laisser place au mystère, à l’inexplicable — les plans des motocyclistes qui reviennent à la fin, comme s’ils refermaient la parenthèse de l’accident. En définitive, le principal fantôme de Mic Jean-Louis n’est autre que le réel.

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