Nous - Propos du réalisateur

La fiction au secours du documentaire

Extraits d'un entretien d'Olivier Hems et de son producteur Gilles Padovani réalisé par Hussam Hindi et Mirabelle Fréville, membres de l’association Clair Obscur, coordination du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma en Bretagne.

Un jour, je reçois un article, envoyé par une amie. Je voulais en savoir plus. Je connaissais le journaliste. Grâce à lui, j´ai rencontré le lieutenant de police qui avait perquisitionné dans l´appartement. Il croyait que je voulais faire un film à sensation. Pour me tester, il m´a mis sous le nez les photos du squelette. Nous avons passé l´après-midi ensemble. Chaque réponse du policier était un élément de plus à propos de la solitude de Jean Galto.
Je suis allé sur place. C´était un petit immeuble à la périphérie de la ville. Le facteur continuait de mettre du courrier dans sa boîte aux lettres, comme si la Poste le déclarait « vivant ». Je trouvais la situation tellement absurde. Je n´ai pas pu entrer chez Jean Galto. Il y avait des scellés sur la porte. Quand j´ai vu les lieux, je me suis dit : je ne filme pas ici. C´était intuitif. Dans Nous, on peut dire que la fiction vient au secours du documentaire. Comme je ne pouvais pas tourner sur place, j´ai « fabriqué » des images.

Tournage

Pour filmer à la place d'un amateur, à la place du mort, j´ai essayé de trouver un équilibre. Ne pas faire n'importe quoi et, en même temps, ne pas m´installer dans un confort de tournage. Confier l´image à un caméraman, comme je pensais le faire au départ, n'aurait pas été logique. J´avais l´image de ce squelette assis sur le clic-clac. Je voulais l'humaniser, le rapprocher de nous. Interprété par Hervé Mahieux, Jean Galto filme la vie, des proches qui le regardent, lui sourient, viennent vers lui, alors que sa mort défile en pointillé avec la voix off. Physiquement, il apparaît plusieurs fois dans le film. On voit son ombre, ses pieds. Lorsque le policier mentionne son âge, il est en gros plan. Je voulais ce gros plan, ce choc, Jean Galto remplaçant, l´espace d´un instant, l´image que l´on s´était faite de son squelette.

 

Interprétation

Aucun comédien ne connaissait l´histoire de Jean Galto au moment du tournage. On est parti « en vacances ». [Gilles Padovani] a eu l´idée de louer une maison. Il y avait quelque chose qui se rapprochait du film, finalement. Ils ont tous endossé leur rôle de vacanciers décontractés sans effort.
Pour la voix off, le comédien Marc Barbé a accepté très rapidement que l´on se rencontre pour répéter. J´avais décidé de ne pas lui donner d´indications de jeu. Une seule chose m´importait : le rythme du texte. Donc je lui demandais : en marchant, en marchant plus vite, assis, debout, contre le mur, allongé...
Par expérience, je sais que si on essaie de faire coller les images à la voix off, c´est la catastrophe. Le texte était écrit avant le tournage, mais je l'ai mis de côté. J´avais des idées de plans, une sorte de boîte à outils que j´ouvrais au gré du tournage. La forme du procès-verbal a évolué. On a donné de l´épaisseur au lieutenant de police qui, peu à peu, n´est plus insensible à ce qu´il voit.

Postproduction

En montage, on procède de façon empirique. On essaie, on se trompe, on recommence. Mais à partir du moment où le réalisateur et la monteuse travaillent dans le même sens, on ne perd pas de temps. J´avais une idée du résultat final. Gisèle Rapp-Meichler affinait le montage en fonction du texte. J'améliorais le texte en fonction de l´image. Nous avons travaillé en pensant au rythme, à l´énergie des plans, aux mouvements contraires, aux ruptures. Mais surtout, ne pas chercher à illustrer.
Le son a été le moment le plus délicat. Alexandre Hecker, le monteur son, a fait preuve de beaucoup d´abnégation. On ne parvenait pas à trouver une unité. Nous étions tous les deux partisans de la sobriété. On a fini par distinguer deux sortes de sons : ceux qui sont justifiés car liés à l´activité du policier (dictaphone, et tous les petits bruits autour de lui) et d´autres qui ne le sont pas : les tintements de mâts au début du film et l´ambiance de plage. Ce sont pour moi des réminiscences du passé, l´inconscient de Jean Galto, peut-être. Là, on n´est plus dans le montage, mais dans la création sonore.

Le temps de la pellicule

On a employé une pellicule utilisée par les particuliers avant l´arrivée de la vidéo et qui n´existe plus aujourd'hui : un format Super 8 appelé Kodachrome 40 Asa. Ce type de pellicule permet un décalage temporel, il crée de la nostalgie, de l´émotion. Il y a le temps du passé. Ce sont ces images fugaces de bonheur, le temps de la sensation, de ce qui est révolu. Et puis il y a aussi le temps présent avec le lieutenant de police. C´est le temps impartial, le temps inacceptable aussi. Les deux ne fonctionnent pas du tout de concert au début. Le spectateur doit mener sa propre enquête à l´intérieur du film. Il peut nouer des liens entre les personnages qui apparaissent à l´image, peu à peu. Jusqu'à ce que l´image et le son se rejoignent, lors de la lecture de la lettre. Les images Super 8 permettent de dilater le temps. Le film semble appartenir à un passé très lointain, sans rapport avec la mort de Jean Galto. Et pourtant il y a un rapport.
Ce « et pourtant il y a un rapport » est terrifiant, je trouve. Il crée un vide, une incompréhension. À partir de là, on reconstitue le puzzle.


Remerciements à l’association Clair Obscur et au producteur Mille et une. Films.

Olivier Hems

Né en 1967, Olivier Hems se définit comme un réalisateur autodidacte. Après une expérience de journaliste, notamment à Ouest France, il est entré dans le monde du cinéma comme assistant-décorateur d'un film de Jacques Rivette. Un atelier de réalisation avec des adolescents à La Courneuve en 1999 l'a décidé à passer rapidement à la réalisation. Avant Nous, il s'est déjà intéressé au thème de la solitude dans ses premiers films. Si loin du crime (2005) est un essai documentaire dans lequel il revient sur un drame personnel : l'incarcération de son ami d'enfance suite à un crime. Résistance aux tremblements (2006), sélectionné dans de très nombreux festivals internationaux, met en scène une vieille femme (Esther Gorintin), qui vit seule avec ses souvenirs. Nous (2008) a reçu le Prix spécial du jury au festival de Los Angeles (Col-Coa) ainsi que le prix de la meilleure fiction à l'Alternativa Festival du cinéma indépendant de Barcelone.