Petite histoire subjective de la chaîne de montage - 2. Master Hands, Les Temps modernes

Ce sont des films d'entreprise qui ont produit les premières images des chaînes de montage et d'assemblage pour souligner l'efficacité industrielle ainsi acquise : dès les années 1920, la Ford Motor Company représentait l'invention de la chaîne sur un mode fictionnel. On voit dans ce film un chef d'entreprise démiurge qui, tel un Hercule en costume trois pièces, retrousse ses manches pour montrer aux employés l'idée du procédé sur « convoyeur » (Henry Ford prétendit l'avoir découvert en visitant les abattoirs de Chicago), prélude à une organisation scientifique du travail qui se généralisa très rapidement dans l'industrie automobile.

En 1936, General Motors confiait à la Jam Handy Organisation – grand spécialiste des films institutionnels – la production d'un documentaire « symphonique », Master Hands (littéralement « les mains expertes »), à propos de l'usine Chevrolet de Detroit : un commentaire lyrique en voix off détaille pendant trente minutes la construction des automobiles (depuis la fonderie jusqu'à l'habillage des carrosseries en passant par l'usinage, l'emboutissage et la tôlerie) présentée à l'image comme une chorégraphie de machines pilotées par les hommes, photographiée par Gordon Avil (qui a entre autres travaillé sur le Billy the Kid de King Vidor en 1930) et mis en musique par Samuel Benavie et l'orchestre philharmonique de Détroit.

La même année, Charlie Chaplin montre également la chaîne comme un ballet mécanique, mais Les Temps modernes en subvertit radicalement l'efficacité fonctionnelle par le biais d'une indépassable vision allégorique des cadences infernales imposées par le fordo-taylorisme. Des années plus tard, c''est aussi le propos de Louis Malle. Humain, trop humain (1973), qui se concentre sur la figure de l'ouvrière, est un documentaire critique qui, par le choix d'un cadre et d'un montage précis, transmet véritablement l'expérience des cadences : le regard saccadé d'une ouvrière suffit à indiquer à la fois la vitesse, la contrainte et le rythme.

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