Demeures de salauds - 1. Introduction

Dans les films que nous évoquerons, tout se passe comme si seule une personnalité « négative » (peu humaine, antipathique ou inquiétante) voire un esprit carrément malfaisant pouvait apprécier la pureté des formes contemporaines et la fluidité des espaces cernés par des murs d’un blanc immaculé qui caractérisent les intérieurs de cette modernité architecturale — comme s’il pouvait y avoir un lien, fût-il en apparence paradoxal, entre l’expression architecturale qui caractérise une maison et l’état d’esprit de ses occupants.

Prenons deux premiers exemples : Mon oncle et Twilight, deux films très différents qui illustrent ce principe.


Mon oncle
(1958) de Jacques Tati

Dans Mon oncle, Monsieur Hulot est un personnage attachant, sympathique et rêveur qui habite au dernier étage d’une vieille maison au milieu d'un village. Faite de bric et de broc, elle est le résultat d'annexes successives : selon le degré d'indulgence et de sympathie que l'on éprouve à son égard, on la considérera comme ingénieuse et amusante ou comme moche et incohérente.

Par contraste, le beau-frère d'Hulot, Monsieur Arpel, semble rigide et autoritaire. Il forme avec sa femme un couple conditionné, notamment par les nombreux gadgets que contient leur villa ultra-moderne, conçue par Jacques Lagrange, peintre, graveur et coscénariste attitré de Tati. Cette maison est présentée comme une propriété luxueuse qui leur sert d’espace de représentation, et non comme un véritable « chez soi ». C’est seulement quand Hulot fait irruption dans la villa et en transgresse les règles qu’elle devient plus vivable (au grand dam des propriétaires). Cette maison apparaît comme un personnage à part entière, qui dirige la vie de ses occupants et semble même les observer durant la nuit.

Montage d'images fixes en lien avec le texte ci-dessus.


Twilight, chapitre I : Fascination
(Twilight, 2008) de Catherine Hardwicke

Dans Twilight, l’innocente et pure Bella Swan habite dans une grande maison très classique et banale du nord-ouest des États-Unis, tandis que le ténébreux Edward Cullen et sa famille de vampires habitent une maison de style contemporain, cachée dans la forêt. Il s’agit de la villa Hoke, conçue en 2006-2007 par Skylab Architects pour le propriétaire de l’entreprise Nike. Il est d’ailleurs bizarre d’avoir logé des vampires, qui chacun le sait se consument à la lumière du soleil, dans une villa très vitrée !

Montage d'images fixes en lien avec le texte ci-dessus.


Comme on le développera dans les chapitres suivants, on constate que quatre types de maisons contemporaines semblent particulièrement intéressants pour les scénaristes et les cinéastes désireux de mettre en scène des « demeures de salauds » : la maison qui observe, la maison qui se cache, la maison qui se met à nu, la maison qui tue.


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Auteur : Patrick T. Klein, architecte. Ciclic, 2018.