20. Épilogue : pour mémoire

Comme le fit remarquer Nicolas Saada, il fallait à Alfred Hitchcock une grande autorité pour faire d'une boîte d'allumettes aux initiales du protagoniste un élément narratif-clé de la fin de La Mort aux trousses, l'objet en question étant apparu dans le récit plus d'une heure plus tôt et n'ayant pas reparu depuis : exemple, parmi cent autres, de la mémoire filmique que Hitchcock, du fait de son art consommé du récit, pouvait mettre à contribution chez son spectateur.

Mais si le cinéma de Hitchcock n'était que pure maîtrise, il ne continuerait sans doute pas de nous toucher autant, quarante ans après sa mort. L'émotion particulière que ses films suscitent est souvent liée à la question du souvenir, fût-ce de façon très discrète. Lorsque Richard Hannay, le héros des 39 Marches, s'enfuit de la ferme écossaise avec l'aide de la jeune fermière, il lui fait à deux reprises le serment de ne jamais l'oublier. La suite du film ne donne nullement à penser que ce serment sera tenu. Hitchcock, en revanche, n'oubliera pas la fermière : alors même que les aventures de Hannay l'éloignent définitivement du souvenir de la jeune femme, le cinéaste revient au détour d'une scène au sort tragique qui lui est réservé. Peut-être est-ce cela, la morale du récit : ne pas oublier ses personnages, même les plus épisodiques et les plus modestes, une fois qu'ils ont quitté la scène principale de l'intrigue du film.

Les deux serments de mémoire du héros des 39 Marches à la jeune fermière ; la dernière intervention (hors-champ) de celle-ci dans le film.

 

NOTA : les références des extraits de films cités sont mentionnées à la fin des montages vidéo qui en sont composés.


Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2015.