Mourir de peur - 3. Les Trois Visages de la peur

Dans l'extrait étudié précédemment des Diaboliques, ce n'est qu'à l'issue de la séquence qu'on est certain d'avoir assisté à une mise en scène criminelle ; dans Mulholland Drive, c'est aussi en fin de séquence que se confirme l'impression selon laquelle ce qu'on vient de voir était en fait un rêve. Des trois séquences que nous examinons et qui mettent en doute voire contredisent la part surnaturelle de leur récit (remise en cause à laquelle seul La Momie se refuse), l'extrait des Trois Visages de la peur (I tre volti della paura, 1963) est celui qui « annonce la couleur » au plus tôt.

En même temps que les première adaptations d'Edgar Allan Poe par Roger Corman, Les Trois Visages de la peur, de l'Italien Mario Bava, relance l'idée d'un cinéma fantastique en couleurs, auparavant souvent considérées, en dehors de la science-fiction, comme peu compatibles avec la peur ou avec le drame. (Il y avait bien eu, quelques années plus tôt, le précédent des productions anglaises de la Hammer, mais il s'agissait de couleurs moins ostensibles que chez Mario Bava. Cet expressionnisme fantastique des couleurs, un autre cinéaste italien, après Bava, le poussera à l'extrême : Dario Argento, particulièrement dans Suspiria, en 1977.)

Dans un premier temps cependant, ce sont plutôt des manifestations sonores qui sont censées enclencher le processus de la peur : celles d'une mouche puis de gouttes d'eau qui s'écoulent. Mais par leur traitement, leur volume et les circonstances de leurs apparitions, ces sons sont très vite perçus comme subjectifs, comme les manifestations extérieures de l'intériorité tourmentée du personnage féminin — une infirmière qui vient de revenir chez elle après avoir prélevé une bague sur le cadavre d'une patiente (plus tard dans la séquence, l'apparition du cadavre de la vieille dame sera à son tour subjectivée, mais visuellement cette fois, entre autres par des zooms rapides, très « scopiques »). Dès lors, plutôt qu'à un consentement à la « suspension de son incrédulité », l'inquiétude et la peur du spectateur seront dues à un excès permanent et dérangeant de la représentation (outrance des couleurs, des effets sonores, du jeu de l'actrice, de la mise à mort de son personnage par lui-même), les manifestations fantastiques étant moins mises au compte d'une situation surnaturelle que de la psyché perturbée de la protagoniste.

Notons l'intervention de la main dans cette séquence, comme dans celles de La Momie et, dans une moindre mesure, des Diaboliques : si le visage est le lieu privilégié de l'expression de la terreur, la main est l'instrument de la création ou le jouet des conséquences de celle-ci.

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Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.