Cameras take five - Technique

Animer sur la pellicule

La majeure partie des films de Steven Woloshen est réalisée sans caméra, en utilisant l’intervention directe sur pellicule, comme c’est le cas pour Cameras Take Five. Cette pratique se situe entre le cinéma et les arts plastiques. Considérée comme l’une des techniques du cinéma d’animation, elle aborde la création d’images par le biais du dessin, de la peinture, mais aussi du grattage de formes sur la pellicule. Les motifs réalisés peuvent l’être soit en image par image, soit sur la continuité du ruban de film.

Pour Cameras Take Five, Woloshen a utilisé un morceau de pellicule 35 mm négative d’environ 100 mètres (correspondant aux 3 minutes d’images) sur lequel il a ajouté des encres ou peintures de couleur. Tous les motifs en mouvements du film ont été réalisés en image par image, alors que les variations chromatiques du fond ont été réalisées sur plusieurs images en même temps. Travaillant sur du négatif, Woloshen a appliqué sur le film les couleurs contraires de celles qu’il voulait obtenir lors de la projection, les couleurs s’inversant après tirage en positif.

Les applications de couleurs sur pellicule ont été pratiquées dès le début du cinéma, et trouvent leur origine dans la volonté de colorer des films tournés en noir et blanc. Dès 1896, un film des frères Lumière, montrant une danseuse effectuant une serpentine (danse inventée par l’américaine Loïe Fuller) fut colorié à la main image par image. De nombreux autres films utiliseront ensuite cette technique.

Les recherches des avant-gardistes sur le rythme coloré les conduisent à expérimenter d’autres effets de la couleur au cinéma. En 1914, le peintre Léopold Survage affirme : "Par le mouvement, le caractère des couleurs acquiert une force supérieure aux harmonies immobiles : la couleur à son tour se lie avec le rythme." Cette question du rythme et de la couleur dans le cinéma d’avant-garde traverse les années 1920 : Walter Ruttmann (série des Opus, 1923-1925, dont Lichtspiel Opus 1 (1921) © Eva Riehl - photogramme ci-dessus), Fernand Léger (Ballet mécanique, 1924) et tant d’autres cherchent un rapport d’analogie entre couleurs et rythmes. Dès les années 1930, puis tout au long de leur carrière, Len Lye (A Colour Box, 1935 ; Color Cry, 1952 ; Free Radicals, 1957-1979) et Norman McLaren (Hand Painting Abstraction, 1933 ; Caprice en couleurs, 1948 - photogramme ci-dessous ; Blinkity Blank, 1955) utilisent de la pellicule transparente ou du film opaque pour intervenir dessus, soit par ajout (peinture, encre), soit par suppression (grattage de l’émulsion faisant apparaître des traces transparentes). Ces deux gestes fondamentaux illustrent l’intérêt qu’ont Lye et McLaren pour les questions de métamorphose, de transparence et de projection de la lumière. On retrouve ces mêmes intérêts chez Steven Woloshen.

De nombreux cinéastes pratiquent la création directe sur la pellicule. Pour Impressions en haute atmosphère, réalisé en 1989, José Antonio Sistiaga travaille sur de la pellicule transparente en peignant comme Woloshen les couleurs inverses de celles qu’il veut obtenir : d’un jaune posé sur la pellicule naîtra un violet quand la pellicule sera tirée et développée. Stan Brakhage, auteur de nombreux films abstraits peints à la main, a également réalisé des films en collant sur le support des éléments transparents (herbes, ailes de papillons, feuilles, par exemple dans Mothlight, 1963). D’autres cinéastes développent dans leur film la création des formes graphiques sur la pellicule : Maurice Lemaître (Le film est déjà commencé ?, 1951), Stephanie Maxwell (Ga, 1982), Silvi Simon (Les Schmurglhucks, 2000), Marcelle Thirache (Calypso, 2002), José Vonk (Short Circuit, 2005)…

Rédigé par Sébastien Ronceray, 2011