Irinka & Sandrinka – Analyse du film

Jouer pour se réinventer une histoire

Le jeu est le principe structurant d'Irinka & Sandrinka, dont la narration s'apparente à la fois au conte de fées et au récit autobiographique, en passant par la bande dessinée et le roman-photo.

Irinka & Sandrinka se présente au spectateur comme un ensemble foisonnant et hétéroclite. Les techniques d’animation correspondent aux niveaux de narration et permettent de les distinguer. L’entretien entre Sandrine et Irène est présent tout au long du film dans la bande-son. Mais il est aussi représenté à l’image par un dessin animé à la mine de plomb, légèrement tremblant, réalisé par Jean-Charles Finck. Le monde dans lequel évolue la petite Irinka est composé d’images d’archives, de collages, d’affiches de propagande soviétiques (aux dominantes rouge, blanche et noire et aux formes géométriques), de dessins populaires russes. Sur ce fond, Irinka elle-même est dessinée à l’encre de Chine et animée de manière traditionnelle. Enfin, l’univers de Sandrinka est inspiré des illustrateurs de contes russes. Cependant, les techniques s’interpénètrent : durant l’entretien Sandrine-Irène des photos sont incrustées dans l’image, même chose dans la galerie du château imaginaire dans lequel entre Sandrinka. Cette incohérence n’est qu’apparente : les trois niveaux de narration sont contenus dans un autre niveau, celui de l’imaginaire de Sandrine (c’est elle qui réinvente jusqu’aux souvenirs d’Irinka) ; il assure donc la cohérence du film.

Deux fois deux

Malgré l’apparente disparité du matériau, une structure claire tient l’ensemble du film. Les deux personnages principaux ont chacun deux formes : Irène, la femme adulte qui se souvient de son passé, Irinka, l’enfant ballottée par la vie ; Sandrine est représentée en adulte et sous sa forme enfantine, Sandrinka. Le film est ainsi construit sur la proximité entre les deux femmes, rendue possible par le rapprochement entre les enfants qui sont en elles. Le suffixe russe imposé au très français Sandrine, qui devient Sandrinka, crée une rime entre leurs prénoms. Sandrine Stoïanov utilise la même technique pour dessiner les petites filles et l’on ne peut les distinguer que grâce à leurs coupes de cheveux respectives (courts pour Irinka, longs pour Sandrinka).

 

Ce rapprochement atteint son point d’orgue à l’arrivée du train en gare. C’est Sandrinka et non Irinka qui en descend. À force d’avoir écouté et réinventé afin de se l’approprier le passé d’Irène, Sandrine s’imagine à sa place. Cette empathie réciproque s'exprime dans les retrouvailles d’Irinka et de Sandrinka dans un espace abstrait. L’animation change à cet instant pour se rapprocher du tremblé de celle de l’entretien, montrant qu’il s’agit ici d’une rencontre entre les enfants qui subsistent en chacune des deux femmes. Cette quasi-gémellité est reproduite par les poupées russes qui apparaissent à chaque chapitre (et qui ne se différencient que par la couleur du foulard). Mais celles-ci incarnent également la structure du film : à chaque nouveau chapitre, alors que nous avançons dans le dévoilement des personnages et de leurs souvenirs, la taille des poupées diminue.

Le jeu, malgré tout

Au début de chaque chapitre, le carton s’ouvre en volets latéraux, tels des rideaux. Les nombreux plans en pied des personnages se tenant frontalement devant la « caméra », les personnages se distinguant clairement du décor participent aussi d’un dispositif théâtral. Cette référence ajoute un aspect ludique à un film au propos souvent sombre. La composante du jeu est ici essentielle. Ainsi de Sandrinka déambulant dans le château imaginaire : le jeu intervient de manière magique en redonnant vie à la photo du grand-père. Ce jeu « malgré tout » permet d’éclairer les moments les plus violents du récit. L’influence du conte se mélange avec les références à l’Histoire : c’est sur un cheval issu d'une miniature de Palekh (technique traditionnelle de peinture sur objet vernis) que le grand-père Eugène saute du Palais d’hiver. Mais ce cheval est également rouge comme dans Le Bain du cheval rouge de Kouzma Petrov-Vodkine, tableau symbolisant l’arrivée imminente de la révolution.

Eugénie Zvonkine, 2008.

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