Orgesticulanismus - Ouvertures

Trois points de ruptures

Orgesticulanismus est composé de quatre parties visuellement très différentes. Retour en images sur les trois moments de bascule.


Les sons et les rythmes

Quelle relation la bande-son entretient-elle avec les rythmes du film ?
Elle débute par des notes de piano empêchées (comme le mouvement) par les objets posés entre les cordes de celui-ci. C'est avec cette sonorité que nous découvrons le héros.
A la multiplication des personnages dans les grilles répond celle des sons dérangeants et des rythmes entêtants par leur répétition inlassable. Ce sont des sons métalliques (grincement des couverts contre une assiette, d'un robinet rouillé que l'on ouvre), étouffés (bruissement d'une nappe, glissement du balai sur le sol, crissement d'une chaise) et secs (cliquettement des pinces à linge, claquement d'un livre). Comment ces sons réverbérés interagissent-ils avec les rythmes individuels des personnages ?
La répétition rythmique devient bégaiement puis cède la place à un chaos dissonnant au moment de la tentative de libération du personnage.
Lorsqu'il est libéré, un rythme fait de voix et de percussions semble émerger de sa gestuelle. Plusieurs pulsations rythmiques parfaitement synchrones avec les sauts du personnage montrent qu'il y a symbiose entre geste et son. Commence alors une musique joyeusement endiablée. Instruments, voix et percussions rappellent des rythmes tribaux et donnent à cette danse une connotation rituelle.
Mais lorsque le corps explose en taches de couleurs virevoltantes, le tempo se calme pour aboutir au rythme originel, celui du battement du cœur, essentiel dans un film qui réfléchit sur la part imaginaire du mouvement.
Les dernières images où voltige une forme mobile (entre spermatozoïde, méduse et anneau de Möbius) sont accompagnées de quelques notes de piano et d'une douce nappe musicale qui induisent l'apaisement et l'intériorisation du mouvement.


Les corps multiples et la chair joyeuse

La mutation est un thème visuel essentiel dans le film : les corps ne cessent de se transformer, dans un mouvement continu. Comment cette impression de continuité est-elle possible, alors qu'à son paroxysme le film atteint six à douze corps différents par seconde ? La réponse est suggérée par le titre du film, dans lequel on entend à la fois les mots « geste », « gesticuler », « orgie », « animation », « anima » (âme), « organisme » ou encore « orgasme » : tout comme un mot peut être plusieurs mots en même temps, un corps peut être plusieurs corps en même temps. La séquence de la danse nous montrerait un seul corps mutant, contenant un infini de corps et de mouvements possibles.
Ce qui prime alors est la ressemblance dans le changement, la donnée commune de ces corps qui se substituent les uns aux autres. C'est donc pour cela que la libération du corps qui va mener à son explosion n'a dans le film rien d'angoissant : une fois que les chairs ont éclaté, reste le squelette. Ce dernier représente peut-être la donnée d'expérience commune dont parlait la voix off, celle qui est nécessaire pour que deux individus puissent se comprendre. La chair, devenue une masse joyeusement informe et ayant abdiqué la forme singulière, incarne cette expérience commune et continue à danser jusqu'à se transformer sur l'écran en jets de couleur.

Eugénie Zvonkine, 2009