« Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire (historia). » - De Pictura, Leon Battista Alberti, 1435
L’écran de cinéma comme très souvent la double page d’un album présente une forme rectangulaire dans le sens de la largeur. Les images s’inscrivent dans cet espace défini qu’elles soient une découpe du réel ou la construction d’une représentation.
Le petit curieux, Édouard Manceau, Milan, 2015
➡ Découper le réel pour mieux le voir
Avec Le petit curieux, Édouard Manceau invite ses jeunes lecteurs à regarder le monde qui les entoure à travers un trou formé au coeur de son livre. La richesse des choses à observer est infinie. Édouard Manceau sollicite leur attention sur une multitude de choses : les couleurs, les formes, les matières mais aussi les choses qui bougent ou qui sont immobiles, les choses qui font du bruit…
L’enfant tient le livre comme un appareil photo ou une caméra. Il peut faire le choix de s’arrêter et d’observer ce qui l’entoure à travers un cadre fixe. Il peut aussi choisir d’être en mouvement, le trou devenant alors un cadre mobile.
Il fait beau là-haut ? , Isabelle Simon, Éditions du Rouergue, 2008
➡ Voir la même scène sous différents points de vue
Isabelle Simon est sculptrice et photographe. Elle a façonné deux figurines en plâtre, une jolie baigneuse et un maître nageur bronzé, qu’elle a installées dans un décor réel, une piscine ensoleillée. L’essentiel du livre est composé d’un ensemble de photographies présentant la baigneuse sous tous les angles. Chaque photographie est accompagnée d’un mot ou d’une expression précisant le point de vue adopté.
La fin de l’album est réjouissant, Isabelle Simon invite les lecteurs à prendre in fine le point de vue de la baigneuse en lui donnant la parole et en associant la dernière photographie à l’objet de son regard.
De haut en bas, Betty Bone, Éditions Thierry Magnier, 2010
➡ Plusieurs points de vue coexistent sur une même page
Betty Bone aime mettre en scène des balades en jouant avec les notions d’espace et de temps (1). Dans son album De haut en bas, nous suivons une petite fille et son chien pendant leur promenade jusqu’au parc. Dès la deuxième illustration, Betty Bone rompt avec une représentation unique. La page de droite dédiée à l’illustration est découpée en plusieurs bandes horizontales qui représentent chacune un point de vue. La bande du milieu montre la scène vue à hauteur de la petite fille, on la voit en action : narguer les pigeons, sauter dans les feuilles mortes, courir, jouer à la marelle… La bande du haut montre la cime d’un arbre et les variations météorologiques du ciel durant le temps de la balade. Enfin la bande du bas suit, en plan rapproché, à hauteur du sol, les actions de toute une faune urbaine : chien, pigeons, fourmis et coccinelle.
Cette mise en page provoque une lecture plurielle de l’album. On peut lire le texte et regarder les images de haut en bas comme le suggère le titre ou bien feuilleter le livre en regardant toutes les bandes du haut puis recommencer avec celles du milieu et celles du bas. On peut aussi suivre le petit avion qui apparaît dans la première page dédiée au texte… Betty Bone nous invite à nous balader dans son univers fictif en prenant des chemins buissonniers.
Ces trois albums permettent une première réflexion sur la construction d’une image à deux dimensions et l’importance du point de vue, c’est à dire du lieu d’où l’on voit la scène. A partir de la Renaissance, en Occident, la perspective linéaire s’est imposée tant dans les arts picturaux que dans les images mécaniques (photographie et cinéma). Cette manière de voir est culturelle, elle est très majoritairement utilisée dans les albums et dans les films.
Deux exercices pour une éducation du regard
➡ Comparer trois cadrages différents d’un album ou d’un film.
A quelle distance voyons-nous la scène ? Sur quoi notre attention est-elle focalisée ? Pourquoi l’auteur fait-il varier l’échelle de ses plans ?
➡ Imaginer un espace en trois dimensions (largeur, hauteur et profondeur) à partir d’une image plane.
Comment la profondeur de champ est-elle représentée à travers la taille des personnages ?
Les photogrammes ci-dessus sont extraits du court métrage Loulou réalisé par Grégoire Solotareff et Jean-Luc Fromental en 2003. Ce court métrage est l’adaptation de l’album éponyme de Grégoire Solotareff édité par L’école des Loisirs en 1989.
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1) En 2005, Betty Bone sort trois albums : Balade aux Éditions du Sorbier, La nuit aux Éditions du Rourgue, et Dudu aux Éditions Thierry Magnier. En 2006, lors d’une résidence d’auteur illustrateur jeunesse à Troyes, elle adapte ses trois albums en films d’animation.
