Séance 6 : Quand un auteur s’empare des deux médiums

« L’histoire du cinéma « image par image » se présente dès ses débuts comme un terrain de jeux pour les auteurs jeunesse, qui voient dans les procédés d’animation un moyen de donner vie à leurs créations. Nombreuses sont donc les productions parallèles ou successives, albums et dessins animés, qui se nourrissent sur des modes différents, interrogeant chaque fois les changements de médium et la spécificité de cette adaptation. » - Marianne Berissi, De la page à l’écran… et retour, Hors cadre[s], n°15, 2015

De nombreux auteurs d’albums (1) ont donné une nouvelle vie à leur histoire en les animant. Plus rares sont les réalisateurs qui ont fait le chemin inverse. Pierre-Luc Granjon s’est lancé dans l’aventure en adaptant son court métrage L’enfant sans bouche pour la collection « Un petit court et puis … » des éditions-corridor.

 

  • L’enfant sans bouche, Pierre-Luc Granjon, éditions-corridor, livre-DVD, 2006

« Il était une fois un enfant qui n’avait pas de bouche… » Le livre et le film commencent par cette phrase étrange qui sollicite sans délai notre imaginaire et notre envie de faire connaissance avec ce curieux personnage.

Couverture de L'enfant sans bouche

Le texte du livre est identique au récit de la voix off à quelques exceptions près dues à l’interprétation libre de la très jeune « comédienne » de 4 ans. Sa voix enfantine et spontanée apporte beaucoup de charme à l’histoire de cette rencontre entre un enfant mutique et un lapin qui apprécie quant à lui les joies de la conversation.

➡ Poursuivre la comparaison entre les deux médiums à partir des extraits mettant en scène la rencontre entre l’enfant et le lapin.

Bande image son L'enfant sans bouche

Images tirées de l'album

Pierre-Luc Granjon nous parle de son adaptation :

« J’ai fait le court métrage L’enfant sans bouche en réaction aux deux premiers (1) dont la réalisation avait été longue et difficile. J’avais envie d’écrire un film simple et sans argent. J’ai fait L’enfant sans bouche en 10 jours avec le Studio Corridor. Plus tard les deux producteurs du studio, François Cadot et Sandrine Héritier, m’ont proposé d’adapter le film en album illustré. Ils souhaitaient lancer une nouvelle collection de livres-dvd appelé « Un petit court et puis… » Quand j’imagine une histoire, je la vois d’abord en film. Le cinéma d’animation c’est mon langage. C’est ce que j’ai appris. Quand j’étais jeune, je voulais faire de la BD. Les albums illustrés, la BD, le cinéma d’animation c’est toujours raconter des histoires avec des mots et des images. J’écris aussi des scénarios, c’est une écriture plus froide, les phrases sont directes, essentiellement sous forme de dialogues, on n’évoque pas les pensées des personnages. Je trouve que c’est très différent de l’écriture d’un livre. Pour L’enfant sans bouche, tout est parti de la première phrase « « Il était une fois un enfant qui n’avait pas de bouche… ». C’est mon premier film avec une voix off, j’ai gardé le texte du film presque tel quel pour le livre, à l’exception de quelques mots ou expressions impossibles à prononcer par l’enfant qui disait le texte. (2) Pour la réalisation de l’album, si c’est la même histoire et le même univers graphique j’ai tout repensé pour l’objet livre. J’ai travaillé notamment sur la calligraphie, la taille des mots et l’emplacement du texte dans l’espace de la page. Le choix du noir & blanc s’est imposé essentiellement pour des raisons économiques mais ça m’allait. Mon premier film est en noir & blanc. Les couleurs ont peu d’importance dans le film. »

 

1) Petite escapade en 2001, Le Château des autres en 2003 
2) « C’est la fille des producteurs qui prononce le texte. Elle avait 4 ans 1/2. Elle ne savait pas lire, elle répétait les phrases l’une après l’autre. Au bout de 5 min, elle en avait assez. On s’arrêtait et on reprenait le lendemain. Il a fallu 3 semaines pour faire l’enregistrement. Sa voix est superbe. »

 

  • La promenade d’un distrait, Gianni Rodari, Beatrice Alemagna, Seuil Jeunesse, livre-DVD, 2005

➡ De la nouvelle écrite par Gianni Rodari au film de Beatrice Alemagna.

➡ Du film à l’album

En 1993, un recueil de nouvelles écrites par Gianni Rodari paraît en Italie sous le titre Favole al telefono (2). L’une d’elles, Il court, il court le distrait, retient l’attention de Beatrice Alemagna, étudiante en école d’art, elle choisit d’adapter cette nouvelle en film d’animation pour son examen de fin d’étude à l’institut I.S.I.A d’Urbino.

Couverture de l'album et photogramme du film La promenade d'un distrait

Réalisé en 15 jours, avec l’aide d’un groupe d’amis, le court métrage est une belle réussite. Beatrice Alemagna incarne avec sa voix le narrateur et tous les personnages. Sa présence est aussi à l’image par des plans serrés sur certaines parties du corps de Giovanni et de sa mère qu’elle interprète.

Photogrammes du film La promenade d'un distrait

Quelques années plus tard, Beatrice Alemagna, installée à Paris présente son film à son éditrice du Seuil. Cette dernière l’encourage à adapter en album son court métrage. Les illustrations de l’album-dvd ne sont pas des reproductions des photogrammes du film, elles sont créées pour ce nouveau support par découpage-collage de matières, de photographies et de dessins.

➡ Comparer le début du film et le début de l’album.

Extrait à visionner : http://www.lesfilmsdupreau.com/prog_detail.php?code=pca#extraits::id=4 

Comparaison d'un photogramme du film et d'une image de l'album

Le monde de l’édition a happé Beatrice Alemagna dans un tourbillon et malgré le désir d’une nouvelle aventure dans l’animation, elle n’a pas pu, pour l’instant, le concrétiser. Son complice, Emmanuel Feliu, s’est chargé d’animer les pilotes publicitaires de certains de ses albums.

 

  • Les choses qui s’en vont, Beatrice Alemagna, Hélium, 2019

Les bébés nés en 2020 dans le département du Val de Marne ont de la chance. Ils recevront à leur naissance le dernier album de Beatrice Alemagna, Les Choses qui s’en vont. Ode à la vie, recueil de l’éphémère, l’album est une suite de doubles-pages consacrées à un petit bonheur ou à un gros chagrin, à des changements physiques, à des activités quotidiennes ou à de grandes émotions. Des feuilles de papier calque s’intercalent au milieu de chaque double-page, invitant le lecteur à faire apparaître et disparaître les « choses ».

Images de l'album Les choses qui s'en vont

  • Les choses qui s’en vont, Beatrice Alemagna, Emmanuel Feliu, 2019

Une exposition itinérante et interactive accompagne l’album dans les lieux culturels, les centres de PMI et les associations qui en font la demande. Dans ce cadre, Emmanuel Feliu et Beatrice Alemagna ont réalisé une adaptation de l’album qui permet d’entendre à nouveau la voix de l’artiste et d’animer les multiples disparitions dans un autre médium.

Photogrammes du film Les choses qui s'en vont

 

  • Copain ?, Charlotte Gastaut, Éditions Albin Michel, 2016

L’album hybride conçu par Charlotte Gastaut réussit le pari d’introduire des animations visuelles et sonores dans un album cartonné grâce à une application téléchargeable sur une tablette ou un portable. Emerveillement assuré lorsque les animations s’aventurent au delà du livre ! Un exploit technologique au service d’un projet poétique et épuré qui associe la page à l’écran.

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1) Betty Bone, Sara, Géraldine Alibeu, Hervé Tullet, Christian Voltz…
2) Histoires au téléphone, Gianni Rodari, La joie de Lire, 2012