Séance 6 - Re-montage

Les questions abordées par le cinéma expérimental touchent également aux fonctions du montage, en particulier à travers la pratique du found footage.

Le cinéma, pour répondre à notre besoin d'être des spectateurs de mises en scène, établit des codes, développe des registres et invente des formes. Ces codifications rassurantes ont fait émerger au cinéma la notion de genre, aidant le spectateur à s'y retrouver par le biais d'effets d'annonce reconnaissables : affiche, reprise d'un même motif, développement de codes et de registres attendus, effets de surprises par rapport à notre attente.... Exploitant ces codes des genres cinématographiques, s'est développée la pratique du found footage qui utilise des images déjà tournées par d'autres réalisateurs et les détourne de leurs finalités premières. Cette pratique de re-montage*, motivée par l'instauration de stéréotypes figés dans les genres du cinéma classique, amplifie leur aspect analytique, politique, pamphlétaire ou plastique.

Dès 1969, le cinéaste américain Jonas Mekas envisageait la généralisation de ce procédé : « Je pressens que l'ensemble de la production hollywoodienne des quatre-vingts dernières années pourrait devenir un simple matériau pour de futurs artistes cinéastes. »
Historiquement, le found footage s'est développé véritablement dans les années 1950/1960 (même si cet art du détournement a connu de brillants antécédents) et continue à se déployer aujourd'hui (les outils numériques ont permis d'étendre cette pratique). Il associe souvent impertinence critique et jubilation plastique, déconstruction et harmonie et ce n'est pas pour rien si ses deux sources iconographiques principales sont le film hollywoodien mainstream et le document de propagande ordinaire comme le souligne l'analyste Nicole Brenez. Les films de found footage confrontent des images entre elles selon la proposition d'un cinéaste s'autorisant des rapprochements, des regroupements, des coupes, des ellipses. Ce nouveau montage entraine une lecture différente des images. Le found footage invente des liens inédits entre les images.

*Cette notion de montage peut être ouverte plus largement aux pratiques artistiques du XXe siècle : en littérature (Joyce, Apollinaire, Pound, poésie dadaïste et surréaliste, Eliot, poésie sonore et lettriste) ; en photographie (Alexander Rodtchenko, Alain Fleischer, Sergueï Paradjanov) ; en architecture (Josef Chochol) ; en peinture (cubisme, futurisme, constructivisme, nouveau réalisme...) ; en musique (Arthur Honegger, Arthur Ohéri, John Cage, Pierre Henry, eRiKm...) ; et en vidéo bien sûr. 

Counter de Volker Schreiner (Autriche, 2004, 5 min)

Comment résumer ce film ? Qu'y avons-nous vu ? Ces questions permettent de se rendre compte de l'aspect linéaire du film. Et en même temps, cela ne suffit pas à comprendre ce que nous avons vu...
Ce film est composé de dizaines d'extraits de films sélectionnés par le cinéaste, qui recompose sous nos yeux un compteur s'étalant de 266 jusqu'à 1. Chaque chiffre de cette suite apparaît dans une partie de l'image et ce sous différentes formes : numéro de chambre d'hôtel, plaque d'immatriculation, réveil...
À quoi sert ce jeu de montage ? Qu'est-ce que cela produit sur nous, sur notre attention par rapport à ce que l'on voit (dans un court moment) ?
Les nombreuses séquences prélevées par le cinéaste, mises bout à bout, nous invitent à un jeu d'observation, où nous sommes sollicités pour retrouver les nombres situés à différents endroits dans les images. Notre concentration étant dirigée vers les nombres successifs, nous ne percevons qu'à peine le reste de l'image (chaque plan ne durant qu'une seconde). Ainsi, Schreiner questionne notre liberté d'observation en nous incitant à diriger notre regard vers un élément précis de l'image. À travers ce jeu d'observation et d'attention, le cinéaste pointe un phénomène que l'on retrouve dans de nombreux procédés de mise en scène, où les réalisateurs cherchent à brouiller notre attention en nous orientant vers ce qu'il veut nous montrer. Pour accentuer ces choix, les réalisateurs utilisent de nombreuses possibilités du cinéma : lumière, cadrage, échelle et durée du plan... Au-delà de son aspect jubilatoire, Counter nous parle de mise en scène et de distribution d'informations : l'un des rôles des cinéastes est bien de nous guider à l'intérieur des images qu'ils créent, en choisissant comment nous apporter les informations les concernant : tel un joueur de cartes, il distribue selon son bon vouloir ses informations et se joue de notre attention.

Atelier : frise d'images

Le terme 'montage' renvoie à des actions (manuelles, intellectuelles, analytiques) très complexes**. À travers la notion de montage cinématographique, on peut traiter des questions de continuité et de discontinuité (ordre, classement) et de placement dans un cadre (position, notion de composition d'une image). Pour l'aborder avec des élèves, une piste est de la rapprocher du collage. Pour eux, coller est un geste simple, pratiqué aussi bien dans des disciplines manuelles, que plus virtuellement en utilisant les fonctions d'un ordinateur.

. Cet atelier propose aux élèves de composer une frise d'images, regroupant des images choisies par eux (venant ou non du cinéma). Choisir les images et les agencer les amène à réfléchir à la conception d'un montage éclectique mais dont l'organisation, la continuité fait ressortir une cohérence. Abordant des questions qui ne sont plus seulement de l'ordre de la logique narrative, la suite d'images peut avoir différentes orientations : organisation par thématique, par couleur, par forme, par analogie visuelle... Jouer, c'est aussi procéder à des choix, mettre en ordre (ou en désordre ce qui nous semble incohérent ou trop cohérent), faire des expériences, des essais. Mêler image de cinéma, publicité, peinture, dessin, photographie... permet de sensibiliser les élèves à une pratique de montage/collage travaillant d'autres types de circulations entre les images. Cette démarche amène les élèves à se questionner sur la pertinence de leurs choix. La frise, s'élaborant au fil du temps, peut se composer d'autant d'images que l'on veut, de manière individuelle ou par petits groupes.

. Si on dispose de plus de temps, le même exercice peut être proposé avec des extraits de différents films, montés au moyen d'un logiciel idoine.

**À ce sujet, je renvoie par exemple au premier chapitre du livre de Térésa Faucon, Penser et expérimenter le montage (coll « Les fondamentaux » ed. PSN, Paris, 2009), qui propose une typologie détaillée des aspects du montage.


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.