Séance 7 - Un support : la pellicule

En considérant les étapes de création d'un film en pellicule argentique, on se rend compte que la pellicule tient une place prépondérante dans ce processus : indispensable au tournage, révélée lors du développement, coupée et organisée au montage puis enfin « exposée » au moment de la projection. La pellicule est le support spécifique du cinéma, lui donnant sa matière première de travail.
Sans utiliser de caméra, il est possible de réaliser des films directement sur la pellicule, en prenant compte de ses particularités : transparence du support, composition chimique du film, particularité de sa matière, défilement des images...

La pellicule (d'abord inventée pour la prise de vue photographique au milieu des années 1880) se compose d'un support transparent (aujourd'hui en plastique) sur lequel sont appliquées des couches d'émulsions sensibles à la lumière (couches dites photosensibles). Quand on filme, ces couches sensibles permettent de saisir les images, d'impressionner la pellicule. Le moment du laboratoire reste crucial pour faire apparaître les images. De nombreuses possibilités apparaissent alors au cinéaste qui s'intéresse à l'aventure des images : variations des couleurs et des contrastes, présences des grains de l'émulsion chimique plus ou moins visibles sur la pellicule...
Les pellicules imbibées d'émulsion sur lesquelles on a filmé vont pouvoir subir une transformation par grattage de l'émulsion chimique, mais aussi par colorisation des images (en appliquant des encres dessus). Les pellicules transparentes (sans émulsions ni images) permettent aussi des expériences plastiques utilisant peintures, encres, vernis... appliqués sur le support. On parle alors de films réalisés sans caméra, conçus directement en intervenant sur la pellicule, qu'elle soit transparente ou avec des images.

Nous proposons de découvrir deux films réalisés directement sur de la pellicule. Le premier est conçu en utilisant des images d'un film recopiées sur de la pellicule vierge ; le second en intervenant avec des encres directement sur de la pellicule transparente.

L'Arrivée de Peter Tscherkassky (Autriche, 1999, 2 min)

Ce film du cinéaste autrichien Peter Tscherkassky utilise des images prélevées dans Mayerling, tourné en 1968 par le réalisateur britannique Terence Young, et interprété par Catherine Deneuve et Omar Sharif. De ce long métrage de fiction se déroulant fin XIXe siècle, Tscherkassky ne conserve que quelques secondes montrant l'arrivée d'un train dans une gare et les retrouvailles sur le quai des deux personnages du film d'origine. Ce choix évoque tout naturellement la célèbre vue des frères Lumière Arrivée d'un train en gare de La Ciotat. Et ceci n'est pas un hasard : L'Arrivée est un hommage au cinématographe.
En suivant le déroulement du film, quels éléments du cinéma découvrons-nous ? Que voyons-nous dans ce film qui d'habitude nous ne voyons pas ? Qui est alors la véritable « star » de ce film ?
L'Arrivée débute par un faisceau de lumière éclairant un simple écran blanc sur lequel vont ensuite apparaître des fragments d'images : on y voit les bords de la pellicule, les perforations, la piste du son optique, des lisières non identifiables. Puis peu à peu se dévoilent des images représentant la gare, le train, encore peu visibles (elles semblent mal placées dans le projecteur et paraissent flotter : elles sont floues, décadrées). Enfin, on finit par voir plus nettement le quai d'une gare : s'y arrête un train, une femme en descend, un homme vient l'accueillir et l'embrasse : c'est le début de toutes les histoires (la rencontre amoureuse) et la fin de L'Arrivée. Tscherkassky nous invite à assister à l'arrivée sur l'écran de la vraie « star » du cinéma, à savoir la pellicule. Dès que celle-ci remplit sa fonction classique (être projetée afin de voir les figures filmées), le film s'arrête. Tscherkassky nous rappelle que ce que nous voyons lors d'une projection, c'est toujours de la pellicule agrandie, ce que l'on peut avoir tendance à oublier*.
Ce film a été réalisé sans caméra. Tscherkassky applique directement sur de la pellicule vierge des images déjà filmées (celle du film Mayerling). Pour cette technique mettant en contact de la pellicule impressionnée avec un film vierge, le cinéaste utilise un crayon optique lumineux pour recopier les parties qu'il choisit à l'intérieur de chaque photogramme afin d'impressionner les images sur la pellicule vierge. Cette technique du contact s'inspire des rayogrammes initiés par le photographe Man Ray, que Tscherkassky admire et cite souvent.

*Tscherkassky travaille avec de la pellicule 35mm, sans effet numérique ni informatique. Ces films travaillent sur la projection en pellicule. D'autres questions bien sûr se font jour quand on projette en numérique.

Swinging in the Lambeth Walk de Len Lye (GB, 1939, 3 min 30)

Le cinéaste, sculpteur et musicien d'origine néo-zélandaise Len Lye est considéré comme l'un des pionniers des direct films, œuvres réalisées par interventions directes sur la pellicule (dessin, grattage), et aussi par l'utilisation de teintages, de caches, de collages, de pochoirs... À travers ses films nous découvrons un monde fait de formes et de couleurs.
Quels sont les personnages de ce film ? raconte-t-il une « histoire » ?
Les peintures animées de Len Lye offrent une autre vision du cinéma orientée du côté de la sensation pure et non plus vers la continuité de la logique narrative. En peignant des lignes, des arabesques, des signes et d'autres figures rappelant des formes organiques, ils génèrent un tremblement, un doute qui nous invite à repenser notre regard sur le cinéma. L'enjeu de ce film est de susciter en nous un autre rapport entre la figure et le fond, entre paysages et « personnages ». En faisant danser des lignes et des plans de couleurs, la spatialité des images traduit alors de manière complexe les pulsations rythmiques, qui rendent compte parfaitement de l'intensité et de la joie générées par les mouvements et les couleurs. Ses rythmes colorés, sa construction par collage sont en lien avec la musique entraînante de ce film (entre autre interprétée par Django Reinhardt et Stéphane Grappelli).

Atelier d'intervention sur pellicule

Cet atelier d'intervention sur pellicule permet de se plonger au cœur de questions de cinéma, et de porter un regard différent tout en s'appuyant sur des techniques qui sont familières aux élèves : le dessin, le grattage. Cette découverte de l'intervention sur film permet d'envisager le cinéma sous une approche plastique et manuelle, individuelle et collective, attentive et ludique. Le programme pédagogique de cet atelier d'interventions sur pellicule répond à cette observation : donner accès aux élèves à d'autres mondes, à d'autres types d'images.
Lignes et points, illusion d'un mouvement, décomposition d'un motif, effet de tailles, apparitions et disparitions... sont autant d'instruments dynamiques et rythmiques explorés par l'intervention sur pellicule.
Les films peints rendent sensibles à la matérialité des images, aux couleurs déposées sur la pellicule et agrandies sur l'écran, au rythme donné aux images par le phénomène du défilement, au lien entre la figure et le fond composé directement sur le support. Ils permettent de percevoir nettement l'épaisseur des matières (superposées, creusées, sculptées), la densité des couleurs appliquées sur le celluloïd. Ils permettent de saisir le rapport entretenu par le cinéma avec les formes abstraites.

Pour le descriptif de cet atelier, voir la séance 2 du parcours animation.


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.