Séance 8 - De la couleur

L'histoire de la couleur au cinéma est longue et vaste, des films primitifs peints aux filtres utilisés au tournage, du teintage au Technicolor, en passant par toutes les variations possibles de colorimétrie dues aux choix des supports de tournage ou au travail de post-production. Les relations à la couleur ont bien sûr entrainé de nombreuses voies dans le champ du cinéma expérimental.

Une d'entre elles revisite une pratique liée au cinéma d'animation : la rotoscopie. Il s'agit de redessiner sur des feuilles chaque image d'une séquence filmée en prise de vues réelles. Cela permet d'obtenir une animation très fluide et précise. Les pionniers de la rotoscopie apparaissent dès les origines du cinéma. De nombreux grands réalisateurs, entre autre les frères Fleischer (avec en particulier les films de la série Koko le Clown dès les années 1910 ou encore leur Voyage de Gulliver en 1939), Walt Disney (Blanche-Neige et les 7 nains, 1939 ou encore La Belle au bois dormant, 1957) et bien d'autres depuis, ont utilisé cette technique.

Dans les pratiques expérimentales, certains cinéastes utilisent la rotoscopie et l'image par image afin de provoquer des effets de scintillements. On appelle ce genre de films clignotants des flicker films.

Milk of Amnesia de Jeff Scher (États-Unis, 1992, 5 min)

Ce film est bien un film d'animation : on y voit des formes dessinées s'animer. Mais quelque chose dans l'utilisation des couleurs vient pourtant perturber notre vision... Voit-on parfaitement le mouvement des personnages dessinés ? Que se passe-t-il avec le décor où ils évoluent ?
La majorité des films de Jeff Scher est réalisée en rotoscopie. Il emploie comme matrice des fragments de films qu'il prélève dans des bandes annonces, des publicités ou des films de fiction (sa démarche s'apparente donc aussi au found footage). Il redessine chaque image puis les colorie, y ajoutant aussi des collages (journaux, photographies, timbres-poste...). Les dessins réalisés l'un après l'autre (image par image) suivent le rythme des images filmées et décomposent parfaitement le mouvement en étapes successives. Mais la sensation de continuité du mouvement recomposé est perturbée par les changements de couleur à chaque image. Avec ces films, Jeff Scher applique une des lois fondamentales de l'animation : à chaque image, une expérience.
L'enjeu est de produire des perturbations visuelles tout en rendant compte d'un phénomène inhérent à la projection cinématographique : le défilement discontinu des images au moment de la projection. Vouloir rendre visible, et sensible, ce qui constitue ontologiquement le cinéma correspond bien aux recherches du cinéma expérimental, qui tend entre autre à nous rappeler et à nous faire ressentir la singularité des dispositifs cinématographiques.

Atelier folioscope

Après avoir découvert le film de Jeff Scher, un atelier de folioscope (que l'on appelle aussi flipbook) peut être initié avec comme règle du jeu de changer de couleur à chaque dessin, tout en respectant la décomposition d'un mouvement simple. L'idée est de rendre compte d'un mouvement malgré les différences importantes dues à l'utilisation des couleurs.
Pour les indications pratiques au sujet de cet atelier, voir la séance 4 du Parcours « À la découverte du précinéma ». 


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.