Séance 4 : L'acteur est sa propre matière - travail sur l'extérieur

Une fois que l’acteur a pu définir la ligne de son personnage, les actions et éléments concrets qui le constituent, il va falloir le faire exister visuellement, faire bouger, faire parler ce personnage. Pour se faire, l’acteur travaille à partir de ce qu’il est, physiquement et intérieurement. Le travail de l’acteur sur le rôle a notamment été formulé selon deux grands axes par le metteur en scène Constantin Stanislavski, qui évoquait à la fois le travail intérieur sur le rôle et le travail extérieur. Les deux ne sont pas à opposer. Selon l’acteur, selon les rôles, le travail à partir de l’un ou de l’autre ne s’effectue pas de la même manière ou dans le même ordre.

Lorsque le metteur en scène Serguei Eisenstein s’adresse à ses élèves en leur demandant de réfléchir à l’apparence qui doit être celle (en vue du casting) du soldat revenant du front qu’ils doivent mettre en scène, il les fait réfléchir à partir de la notion de type. En fonction du trait de caractère principal du personnage (la débrouillardise) et de l’impression qu’il doit donner au spectateur (sympathie), les élèves essaient de faire émerger des éléments physiques qui iraient dans ce double sens. Le texte prend ainsi en compte ce que l’apparence donne de prime abord comme impression, que cette impression ne change pas au fil du film ou du spectacle, ou que le récit travaille au contraire à l’altérer. On peut remarquer par exemple, en comparant La Grève (Eisenstein, 1925) et Ressources humaines (Laurent Cantet, 1999) que les visages du patron s’y ressemblent (joufflu, légèrement dégarni, peau brillante) et que les visages des ouvriers s’y répondent (visage émacié, cheveux en bataille).

 

Photogrammes des films La grève et Ressources humaines

Ainsi, l’apparence de l’acteur peut l’amener vers un type de personnage. Jacqueline Nacache fait par exemple remarquer qu’un acteur comme Daniel Auteuil, avec son nez légèrement tordu et ses petits yeux inquisiteurs, va trouver des rôles qui tirent parti de ce physique particulier, et « des personnages qui tirent son physique vers les extrêmes : la niaiserie tragique (Jean de Florette, Manon des Sources), l’ordinaire (La Séparation), le grotesque (Le Placard), la cruauté (Lacenaire, Sade). » (Jacqueline Nacache, L’acteur de cinéma, p. 49).

Ce travail à partir du type (parfois du stéréotype) auquel renvoie le physique de l’acteur peut aussi consister à l’effriter. Lorsque Abdellatif Kechiche commence son film L’Esquive (2003), en nous présentant ces jeunes de banlieue prêts à aller en découdre avec une autre bande, à force de jurons et d’invectives correspondant à l’image que les médias peuvent relayer d’eux à la télévision à la même époque, il semble convoquer de nouveau un type et s’inscrire dans le prolongement de ces reportages audiovisuels.

Photogramme du film L'Esquive

Et puis arrive Krimo, qui au lieu de rejoindre la bande, s’en détourne, esquive, pour aller voir si Magalie est chez elle : le film part ainsi du type auquel semble renvoyer l’acteur, pour s’en éloigner et montrer ce qui existe au-delà de ces apparences.

Photogramme du film L'Esquive

Nombreux films mettant en scène des amateurs, notamment issus de minorités, suivent ce trajet (les films de Philippe Faucon par exemple).

Mais le travail sur l’extérieur consiste aussi à définir l’apparence du personnage (costume, gestuelle) et la ligne des actions physiques qui vont être les siennes (Stanislavski). Dans Dark Waters de Todd Haynes (2019), Mark Ruffalo joue un avocat, Robert Bilott, qui va entrer en croisade contre une entreprise de produits chimiques. Le film avançant et la possibilité d’une victoire contre cette entreprise au bras long diminuant, Bilott a de plus en plus mal à son bras, comme une figuration dans son corps, de la manière dont le bras de la justice qu’il incarne souffre, et peine à gagner ce bras de fer.

Lien : l’acteur et le type : « Ecrits d’Eisenstein (15) », in Cahiers du cinéma n°225, nov.-dec. 1970, pp. 37-42.

Pratique 4 : L’acteur est sa propre matière / intérieur

Objectifs : préciser la vision qu’on se fait de la scène, ne pas rester dans le flou. Laisser l’imagination vagabonder et permettre ainsi à l’inconscient, la mémoire, de laisser advenir des propositions hors stéréotypes, que le simple regard « raisonnable » n’envisagerait pas.

1) Rêver l’autre dans la scène

Les yeux fermés en position confortable, couchée dans le noir si possible, à L’ÉCOUTE de l’encadrant qui lit à haute voix la scène, en inventant s’il le veut des détails, les élèves imaginent le personnage évoluant dans la scène.

2) Se rêver soi-même dans la scène

Même chose mais les élèves s’imaginent eux-mêmes évoluant en tant que le personnage dans la scène.

L’encadrant note que le personnage qui va apparaitre à l’écran, au plateau, est le mélange entre celui écrit, imaginé, et soi-même.

3) Mentir vrai : être soi et un autre

Au centre « l’accusé / personnage », les jeunse, en cercle autour de lui, l’interrogent par des questions crédibles sur ses parents, son travail, son enfance, ses amours, la nourriture qu’il aime ou déteste, ses passe-temps, etc. Il s’agira POUR l’adolescent AU CENTRE, ACCUSÉ, d’y répondre avec précisions et d’être crédible comme si un enjeu énorme en dépendait (c’est son procès, on doit le croire et le comprendre). Le personnage se sert de détails de la visualisation, de sa vie, des mots clefs : quand on ment en vrai, on trouve une justesse.

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.