Séance 6 : L’acteur ne joue pas seul

L’acteur n’est pas seul avec son personnage, pas seul à raconter cette histoire puisqu’il y a un metteur en scène qui le dirige. Même si certains acteurs, metteurs en scène ou réalisateurs, rejettent un peu ce terme de « diriger » (« il faudrait encore réfléchir sur ce mot parce que diriger, c’est un beau mot mais en même temps on ne dirige pas vraiment » pouvait ainsi affirmer Patrice Chéreau (La direction d’acteur, p. 48)) et des partenaires avec lesquels il raconte ce récit et ce personnage.

Certains enseignants peuvent ainsi se concentrer, dans leur travail avec les acteurs, sur le jeu avec les partenaires, l’écoute. C’était notamment le cas de Sanford Meisner, inspiré des travaux de Stanislavski qui privilégiait, à partir d’exercices aidant l’acteur à se rendre réceptif et réactif à différents types de stimuli, le travail avec les partenaires : le personnage se révèle de ses interactions avec les autres. Beaucoup d’acteurs soulignent l’importance de cette écoute, notamment dans le rapport avec l’instant présent du jeu : ainsi Meryl Streep peut-elle affirmer que « si vous n’écoutez pas, vous n’êtes pas dans le moment présent ; et si vous ne l’êtes pas, vous êtes à côté de la plaque » (p.11 Positif) ; ou Olivier Gourmet : « C’est important d’écouter l’autre. Avec le plaisir, c’est l’autre composante essentielle du métier d’acteur » (p.55). Parfois, dans une scène ou un film, on peut voir un acteur prendre le relais ou se nourrir de la gestuelle d’un autre : dans une scène de Magnolia (Paul Thomas Anderson, 1999) où Frank TJ Mackee (Tom Cruise) se retrouve au chevet de son père mourant qu’il déteste et a perdu de vue depuis des années, il prend d’abord la pose, bras croisés, comme pour se donner une contenance, notamment devant l’infirmier présent (Philip Seymour Hoffman), mais surtout face à l’émotion qui le gagne et dont témoigne son regard sur le côté. Puis, assis à côté du lit de son père, il se laisse petit à petit aller à sa colère mais ce geste des bras croisés n’a pas disparu : il est pris en charge, dans le bord gauche du cadre et flou, par l’infirmier qui, le refaisant en baissant la tête, témoigne que l’émotion, difficile à contenir, est toujours présente alors que le héros se débat avec son mélange de haine et de tristesse.

Photogramme du film Magnolia

Magnolia de Paul Thomas Anderson (1999, Metropolitan/Seven 7)

D’une autre manière, dans la trilogie Pirates des Caraïbes, on peut voir, de film en film, le personnage d’Elisabeth Swann (Keira Knightley) s’approprier des éléments de la gestuelle (jeu de l’index) et des mimiques de Jack Sparrow (Johnny Depp), ces glissements progressifs racontant le « devenir pirate » de la jeune femme qui advient dans le troisième opus.

 

Photogramme du film Pirates des Caraïbes : La malédiction du Black Pearl

Photogramme du film Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde

Mais si l’acteur se nourrit ainsi de ses partenaires, il joue aussi pour et avec ceux qui, hors de la scène, le regarde, metteur en scène et spectateur/caméra. Le travail de la mise en scène œuvre à la rencontre (qu’elle soit douce, violente, etc.) entre un personnage, une histoire et celui/ceux qui l’écoute(nt) et la regarde(nt).

 

Pratique 6 : L’acteur ne joue pas seul

Objectifs : Se mettre à parler, se mettre à écouter.

Les acteurs s’emparent du dialogue écrit.

ÉCOUTER ce que dit l’autre mais aussi tout ce qui vit dans la scène est primordial, cela explore le présent et le réel et vous y ancre. Ensuite seulement, on peut prendre la parole, adresser précisément ce qui est dit à l’autre. L’adresse est proportionnellement l’écho juste de l’écoute.

On notera que, au théâtre comme au cinéma, ce qui est dit est dit pour l’autre acteur mais AUSSI pour les spectateurs. Une dimension à prendre en compte. Parfois l’adresse est uniquement au spectateur.

1) Tendre les fils

Par petits groupes correspondant aux scènes, les jeunes, à distance, se regardent intensément dans les yeux. Ils visualisent des fils tendus entre eux, menaçants de casser et tiennent un long temps le silence, le plus longtemps possible, jusqu’à la nécessité de parler.

2) Les mots ne viennent pas de nulle part

L’acteur/trice dit un mot lentement, comme si c’était le seul et unique, et qu’il avait à traverser difficilement la distance pour atteindre l’autre.

On essaie de tendre les silences après chaque mot, comme si c’était possiblement la fin, ou pour attendre son écho ou la réponse de l’autre.

Puis, sans réponse (c’est en effet le fait de ne pas avoir de réponse qui déclenche le besoin de poursuivre la phrase), l’acteur, le personnage va monter en tension, en volume ou en précision, va changer quelque chose de son intervention pour poser cette fois sa deuxième réplique pour détailler, influencer, etc. Les mots ne s’enfilent pas comme des perles linéaires et si l’auteur a écrit plusieurs répliques c’est qu’elles sont complémentaires, afin d’améliorer la compréhension, pour le personnage antagoniste, pour le spectateur et pour l’histoire. L’acteur doit se penser écrivain, faisant le choix de chaque mot qui suit, renchérissant d’un autre mot encore plus important. L’autre reçoit ces mots comme des flèches, on laisse la flèche vibrer dans son corps et on écoute cette vibration. D’un nouveau mot lancé, on répond. La tension monte. Chaque phrase est une couche, permettant de trouver la nécessité de dire chaque mot.   

Schéma explicatif de l'exercice Se mettre à parler, se mettre à écouter 

Pour s’aider, les adolescents acteurs imaginent un sous-texte, c’est-à-dire une voix intérieure qui réfléchit à haute voix : « maintenant je le regarde, je réfléchis, je vois qu’il a compris, je vais le surprendre par ma réponse… » : on reproduit ainsi une profondeur de la pensée, du personnage, son moteur.

3) La scène apparaît

Nourri de l’exercice précédent, la scène sue est travaillée par chacun des groupes.

Elle est transposée assis face à face, de dos, en courant, chuchotée, criée comme du fond d’un ravin à un autre, dans le noir, très vite du tac au tac.

On doit pouvoir garder l’intensité et la précision des enjeux dans tous les cas de figure.

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.