Séance 8 : On tourne !

Plus le personnage aura bien été préparé en amont, plus des éléments pourront être ajoutés, ou survenir à l’improviste, sans que l’on craigne qu’ils viennent parasiter son jeu mais, au contraire, qu’ils pourront être utilisés comme autant de stimuli auxquels l’acteur saura répondre. Ces éléments à ajouter sur le plateau permettent à l’acteur d’être toujours dans un état créatif, de ne pas se regarder jouer et de ne pas avoir la tentation de reproduire, mais de toujours réinventer.

On peut ainsi faire intervenir un élément extérieur comme un animal qui, tout en déstabilisant l’équilibre de jeu, pourra servir aux acteurs et au propos du film : dans Du côté d’Orouët de Jacques Rozier (1971), des anguilles viennent ainsi à la fois perturber le jeu mais, dans le même temps, exacerber les relations entre les personnages parce que leur utilisation raconte aussi ce qui se joue entre le jeune homme et les trois filles. Dans ce film, un jeune homme, Gilbert (Bernard Menez) s’est invité chez trois jeunes femmes en vacances dans la maison de famille de l’une. Les femmes ne cessent de se moquer de lui qui essaie maladroitement de les séduire. Dans une scène, elles rentrent chez elles avec des anguilles vivantes tout juste achetées chez un paysan local. Gilbert arrive et s’ensuit une scène où non seulement elles vont lui lancer de la nourriture pour rire mais, surtout, où les anguilles vont se retrouver à terre, se faufilant sur le sol alors que lui essaie de les rattraper et que les trois amies crient de panique.

Photogrammes du film Du côté d'Orouët

« L’ambition de Rozier n’est pas de mettre en scène fidèlement un scénario qui ferait office de programme à respecter, mais de prévoir des situations qui permettront aux acteurs d’improviser, de faire dériver la fiction vers une vérité documentaire, avec le risque, assumé, que cette dérive n’ait pas lieu. Dans la séquence des anguilles, l’absence de dialogues écrits ou préparés participe de la dérive, du débordement : grâce à une succession d’improvisations vécues comme autant d’expériences collectives, Rozier "documente" des corps de jeunes filles de 1969, loin d’une "libération sexuelle" qui semble être la dernière de leur préoccupation. Pour les filles de Rozier, les garçons comme le cinéma – les garçons au cinéma – ne sont que prétextes au plaisir encore enfantin du jeu ». (Gilles Mouëllic, Improviser le cinéma, pp. 68-69). Ainsi, les anguilles pourraient être ces jeunes filles que Gilbert essaie d’attraper en vain et qui se dérobent tout en jouant avec et de lui, attirées et méfiantes, face à ce corps masculin déstabilisé de ces contradictions. Cela apparaît à la fin de la scène avec le regard vers le réalisateur (hors-champ) de l’acteur (pourtant professionnel face à ces trois « amatrices »), comme désemparé et se demandant quoi faire face à ces femmes.

 

PRATIQUE 8 : On tourne

Objectifs : Appréhender ce que voit le spectateur. Définition du cadre, pour quel regard cela est fait ? Jouer n’est pas qu’incarner devant des spectateurs, mais aussi maîtriser les outils du jeu mis en place par le réalisateur / metteur en scène, pour « écrire » ce qui va permettre au spectateur de « lire ».

Cela est le travail du réalisateur mais celui-ci a besoin de la collaboration et de la maîtrise de l’acteur qui, ici, doit prendre en compte, dans ce qu’il a travaillé pour créer le rôle et la scène, ce qui va être visible et audible ou pas, plus important ou secondaire et bien sûr concentrer son attention sur ce qui va être perceptible par le spectateur : moduler son jeu et son action, en fonction de cette partie visible.

Ainsi, au théâtre, l’acteur pourra augmenter en articulation et volume ce qui se joue de dos, ou le contraire sur ce qui vient s’adresser au spectateur. Au cinéma, le cadre fait lui-même le zoom sur certaines parties du jeu : à l’acteur aussi de le prendre en compte. Un très gros plan sur les yeux demandera à l’acteur de choisir un regard précis, une direction précise, une économie de mouvement. La même scène en plan large mettra en évidence la nervosité dans les jambes que l’acteur, se sachant filmé « de loin », ne manquera pas de marquer un peu plus pour en permettre la lisibilité. 

On notera qu’il s’agit pour l’acteur dans ces choix, d’adresse et d’une maîtrise de l’enjeu.

Schéma explicatif sur le cadrage

1) Cadres

Les groupes choisissent dix cadres correspondant à 10 mini-séquences selon celles définies en séance 3.

L’encadrant précise avec les élèves ce qu’il est important de montrer à l’image en fonction des mots clefs et mini séquences des exercices précédents : que montrer, que cacher, le hors-champ, les plans larges, les gros plans.

2) Champ/hors-champ

Choix des répliques et dialogues : dans quel cadre, quels champs / hors champs, que montrer à l’image, la parole ou l’écoute, etc.

3) Filmer en décor réel

Objectifs : Exigence, plaisir de mettre en œuvre, esthétique, expérience du réel et du travail en équipe, en autonomie.

Avec a minima un smartphone, on tente de respecter les choix esthétiques et dramaturgiques précédant dans la mesure du possible, en évitant d’abandonner des objectifs juste dans le but de faire plus simple.

4) Visionnage et discussion sur les films des élèves

L’encadrant peut en profiter pour reprendre en commentaire des images les notions travaillées lors des séances qui « avec l’expérience » prendront leur sens. On appelle aussi cela « la séance de notes » au théâtre après une répétition ou représentation. Elle permet à l’acteur de corriger, pour la représentation d’après (pour le film prochain ?), les problèmes soulevés.