Séance 2 - Réutiliser

 

Le « réemploi » ou le recyclage d’images existantes est une pratique qui s’est développée à la fin des années 50 par des artistes d’avant-garde, parmi lesquels des représentants de l’Internationale situationniste comme René Viénet, et des cinéastes expérimentaux tels que Bruce Conner, Arthur Lipsett, ou encore Ken Jacobs, qui ont ouvert la voie à des cinéastes actuels (Peter Tcherkassky, Martin Provost, Johanna Vaude…). Véritable travail de remontage de plans (on parle en anglais de « found footage »), cette approche permet de faire du cinéma sans passer par l’étape du tournage.

L’enjeu principal consiste alors à travailler le montage : comment agencer ces images, qui peuvent provenir de sources variées ? Comment les articuler pour produire du sens, pour qu’elles se répondent, pour qu’elles fassent récit ?

De ces nouveaux agencements peuvent naître des regards critiques, décalés. De la fiction peuvent surgir des images documentaires et à l’inverse, un commentaire sur le réel s’immiscer dans des images totalement artificielles.

1 : Machinima : raconter une histoire à partir de jeux vidéos

Enjeux pédagogiques

Une nouvelle pratique du réemploi a vu le jour il y a quelques années lorsque les utilisateurs de jeux vidéo ont pu faire des captures de séquences de leurs parties. Ces captations, une fois montées à la manière de plans de cinéma et donné lieu à de véritables petits films que l’on appelle des machinimas. Cet investissement de la culture populaire du gaming ouvre des perspectives passionnantes en matière d’éducation aux images puisqu’il permet un apprentissage du langage cinématographique (en termes de montage et de récit) en même temps qu’il offre une place de choix à un divertissement très largement pratiqué par les adolescents. Il permet aussi le développement du regard critique et de la distanciation typique de l’esprit du found footage.  

Matériel

  • Idéalement un ordinateur par participant (à défaut pour 2 ou 3 participants s’ils travaillent par petits groupe)
  • Un logiciel de capture d’écran pour jeux vidéos (quand la fonctionnalité n’est pas intégrée au jeu lui-même comme c’est le cas pour GTA)
  • Un ou des enregistreurs pour la bande-son (ou à défaut la fonction enregistreur vocal d’un smartphone)
  • Un panel de jeux vidéo que les participants connaissent et maîtrisent
  • Un logiciel de montage : Windows Movie maker, Imovie, VirtualDub, Shotcut, Da Vinci Resolve (logiciels gratuits),…
  • Un vidéo projecteur, des enceintes et un écran pour le visionnage et la restitution.

Déroulement de l’atelier

Les ateliers machinima se déroulent en général de la façon suivante :

Une première séance est consacrée au visionnage de machinimas existants pour découvrir cette pratique et les possibilités techniques qu’elle offre. Chaque participant choisit et expérimente le jeu qu’il utilisera pour son machinima : il est important qu’il le maîtrise bien.

A titre d’exemple, voici quelques machinimas particulièrement dignes d’intérêt :

  • Red Vs Blue, une série de machinimas humoristiques (qui comporte des centaines d’épisodes !) créée par Rooster Teeth Productions et diffusée sur Internet. On y suit deux armées ennemies (les rouges et les bleus), coincées dans un canyon. 
  • Lovely Family TV de The Lovely Team – France – 2010 - 3’03. Au milieu des années 50, une famille découvre la télévision. Au fil du temps, la publicité va influencer son équilibre jusqu’à la pousser au paroxysme consumériste.
  • mAdvertising de Pooky Amsterdam – USA – 2010 - 2'12. Une drôle de comédie à la saveur rétro, inspirée par la série TV Mad Men. 

Plusieurs séances de 2 à 3 heures au cours desquelles les participants sont invités à réaliser leurs propres créations en partant de l’écriture d’un scénario et la conception d’un story-board. Cette phase d’écriture doit être particulièrement soignée même si des corrections et modifications pourront être apportées lors de l’enregistrement proprement dit. L’atelier se poursuit par la création de décors et de personnages.

Vient ensuite le tournage virtuel au cours duquel des séquences de jeu sont enregistrées : les participants font évoluer leurs personnages dans des décors choisis et mettent en scène l’action. Une fois les séquences enregistrées, vient la phase de montage où les différentes « prises » sont agencées pour créer un récit.

On procède enfin à l’enregistrement de la bande-son (dialogues, commentaire en voix-off, bruitage et musique) qui sera posée sur les images montées.  

Une séance finale est prévue pour la restitution où les participants découvrent les films des uns et des autres éventuellement en présence d’invités.

Pour en savoir plus sur les machinimas, on peut se reporter au site d’Isabelle Arvers, artiste et chercheuse dans le domaine des interactions entre l’art et les jeux vidéo. Elle a créé et animé de nombreux ateliers machinima.

Pour aller plus loin 

Dans la lignée des machinimas, il est également possible de réaliser des films à partir de séquences réalisée avec Google Earth et Google Street view lors d’ateliers conçus autour de la représentation d’un lieu.

Pour cela, il faut se doter d’une application ou logiciel de capture vidéo : OBS Studio pour Mac et PC ou encore Bandicam pour PC sont par exemple des logiciels simples d’utilisation et gratuits.

  • Exemple de machinima réalisé avec Google Earth :
    Over Data
    de Marco Cadioli – Italie - 2010 - 3'
    Que serait Google Earth sans la Terre? Une errance dans un monde où règnent données numériques et icônes.

Capture d'écran de Over Data de Marco Cadioli (2010)

2 : Mash-up, suéder un film

L’expression “film suédé” trouve son origine dans Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry (2008). Elle désigne des remakes de films réalisés de façon totalement amateure. Dans ce film, les remakes faits maison connaissent un succès au moins aussi retentissant que les originaux. Après la sortie du film, Michel Gondry a lancé un concours de films suédés et les cinéastes en herbe se sont lancés en même temps que se sont développés les ateliers sur cette pratique aussi ludique et joyeuse que riche d’enseignements.

Autant la pratique du machinima exclut toute forme d’incarnation à l’image autant la pratique du film suédé la réinvestit pleinement, et laisse même toute sa place à la maladresse et au “mal joué”. La prouesse technique des images lisses et archi réalistes des jeux vidéos est remplacée par des plans où l’artifice est assumé et où le bricolage se hisse au rang d’art.

Soyez sympa rembobinez de Michel Gondry (2008), Focus Feature et Partizan, distribué par Europacorp.

Enjeux pédagogiques

  • S’initier à la mise en scène en rejouant des films (ou des séquences), parfois de mémoire.
  • Expérimenter une pratique collective où l’amateurisme au sens noble du terme est valorisé.
  • Travailler autour d’un imaginaire collectif (plus le film rejoué sera connu, plus grand sera le plaisir d’une projection collective).
  • Si ce type d’atelier peut être encadré, il peut tout aussi bien être pratiqué librement, entre amis.

Matériel

  • Une caméra ou un Smartphone pour les prises de vue
  • Un pied
  • Un enregistreur pour la prise de son
  • Matériel et accessoires pour la construction des décors et la création des costumes (laissez libre court à votre imagination!).

Déroulement de l’atelier

Choix du film à suéder

Il faut que le film fasse partie de la culture populaire et soit connu de tous les participants. Idéalement se tourner vers un film de genre qui comporte des codes, décors, costumes ou tout autre élément de mise en scène aisément identifiable.

Visionnage du film

Si cette étape est intéressante pour bien étudier les choix de réalisation et mettre au point un plan de tournage, elle n’est pas indispensable puisque le tournage peut s’effectuer d’après les souvenirs du film.

Ecriture d’un plan de tournage

Ecrire un scénario simplifié du film ou d’une séquence du film (un film d’une heure trente peut être ramené à trois minutes si on décide de ne retenir que quelques éléments marquants de sa dramaturgie), répartir les rôles, imaginer les décors et les costumes (un costume peut se réduire à une paire de lunettes ou une perruque!). Répartir les postes techniques (tournage, prise de son).

Fabrication des décors, costumes et accessoires

Inutile de se lancer dans une reconstitution à l’identique, la démarche propre aux films suédés favorise le recyclage et le bricolage. Pour jouer le personnage d’Harry Potter, misez simplement sur les lunettes de votre petit frère ! Pour représenter la ville de New-York, une affiche de la statue de la liberté sera amplement suffisante. Cherchez le détail qui fait mouche. 

Tournage, montage, mixage...

Viennent ensuite le tournage (là encore, la simplification est de mise pour favoriser un ou deux effets de mise en scène percutants propre au film original), puis l’enregistrement de la bande-son si besoin (bruitage, musique, voix-off…) et enfin le montage, le mixage et la création d’un générique.

Projection

Celle-ci peut réunir amis, voisins, famille, fans du film ou s’inscrire dans le cadre d’un festival de films suédés.

Ressources complémentaires

Dans le même esprit, on peut bien sûr également suéder des affiches !

Affiche suédée de Grease (Randal Kleiser, 1978) par des élèves du lycée horticole de Blois

Voir la séance suivante : Séance 3 - Raconter