Séance 3 - Raconter

1 : Ma story sur Insta

Enjeux pédagogiques

Largement inspirée de la Story Snapchat, la fonction Stories d’Instagram permet elle aussi de créer des histoires composées de photos et de vidéos disponibles pendant 24 heures. Mais quand Snapchat s’est imposé comme un véritable service de messagerie, Instagram, tout en proposant des fonctionnalités similaires (filtres, stickers, textes, animations…), est avant tout une plateforme de blogging photo, caractérisée par le format 4:3 de ses photos comparable aux vieux polaroïds. Quoi de plus simple pour ses nombreux utilisateurs que de poster un selfie, « en public » ou « en privé », pour raconter un peu de soi et recevoir en échange des likes voire attirer de nouveaux followers ? Avant de se pencher sur les nombreuses fonctionnalités offertes par la plateforme, utilise-t-on vraiment toutes celles que notre smartphone permet ? Se prendre en photo, c’est d’abord faire le choix d’une pose (qui n’a jamais essayé la duckface ?), mais aussi celui d’un cadrage. Qu’il s’agisse du cadre de la photo prise avec le téléphone ou du recadrage imposé par le format carré d’Instagram, toutes ces photos racontent quelque chose dans un espace bien délimité qu’on appelle le cadre.

Matériel 

  • Un smartphone

Déroulement

Laissons les filtres et les stickers de côté, et attardons-nous plutôt sur le moment de la photographie et la notion de cadre. A partir d’une même situation (une pose, un vêtement, un décor donnés), amusons-nous à tester différents types de cadrages. 

Qu’est-ce qu’un cadre ?

En art, le cadre désigne la portion d’espace dans laquelle l’artiste va placer ce qu’il souhaite. Cette portion d’espace est toujours délimitée par des bords qui constituent ce cadre. En photographie, ces bords sont délimités par le viseur de l’appareil photo. Le cadre relève aussi bien d’un choix artistique (je me photographie en gros plan) que technique (format carré imposé par Instagram).

Cadrages

Que choisit-on de photographier quand on se photographie soi-même ? Le « selfie miroir » apparaît comme une figure de style incontournable, où pose et décor identiques constituent un cadre répétitif (amusant pour certains, lassant pour d’autres) dans lequel seule la tenue (et parfois la musique !) varie. Aujourd’hui beaucoup ont remplacé le miroir (jugé trop sale ou mal situé) par un deuxième appareil installé sur un trépied : c’est lui qui joue le rôle du miroir et prend la photo, tandis que le téléphone dans la main devient accessoire !

Quand Pénélope Bagieu (@penelopeb) détourne le selfie miroir et joue avec les cadres et surcadrages... sans qu'on la voie vraiment !

Sans (faux) miroir, le manque de recul imposé par le téléphone tenu à bout de bras ou, au mieux avec une perche à selfie, n’autorise pas tellement de possibilités. On verra au maximum le haut de son corps ou, bien sûr, ses jambes et/ou ses pieds, autre cliché récurrent des réseaux sociaux ! Pourquoi dans ce cas ne pas jouer sur des cadrages plus serrés, en zoomant ou en rapprochant son téléphone ? Parce qu’un visage en gros plan est jugé peu avantageux ? Pourquoi ne pas jouer alors avec les très gros plans : les différentes parties du visage ou de son corps sur lesquelles le regard s’attarde rarement ?

Recadrages

Explorez les différentes fonctionnalités de votre smartphone. Celui-ci propose souvent dès le moment de la prise de vue différents formats possibles (par exemple le « carré » ou le « pano » en plus du classique « photo »), mais il vous permet aussi de modifier une photographie. Ce pictogramme (ci-dessous) renvoie à l’outil de recadrage, et vous permet soit de recadrer manuellement une photo, soit de modifier sa taille en changeant son « ratio ». Le smartphone propose en effet plusieurs formats possibles, qui se présentent le plus souvent comme une division : 3:2, 4:3, 16:9… Le format 16:9 (ou 16/9), également celui des téléviseurs actuels, indique par exemple que la longueur de l’image vaut les seize neuvièmes de sa hauteur.

Testez différents ratios et comparez-les : si le 16:9 s’imposera peut-être pour des photos de paysages, mettra-t-il aussi bien en valeur une personne photographiée en pied ? Tout dépend bien sûr de ce qu’on souhaite mettre en avant, de la composition de la photographie. Si les photos postées dans votre fil Instagram s’afficheront par défaut au format carré, vous pouvez tout à fait conserver les proportions d’origine si vous souhaitez valoriser le cadrage choisi lors de la prise de vue. Idem pour les stories, qui afficheront en plein cadre les photos prises en portrait, mais laisseront de l’espace sous et au-dessus des photos en paysage. A vous de les recadrer si besoin !

Exercice pratique : la photo puzzle

Il s’agit de diviser une photo en plusieurs images format carré pour, une fois toutes les images postées, obtenir dans son feed une photo de grande taille. Les photos, publiées séparément, apparaîtront dans votre fil comme des morceaux pas immédiatement identifiables par vos abonnés. Publiées les unes à la suite des autres, elles leur mettront toutefois la puce à l’oreille et les inciteront à aller voir sur votre profil l’ensemble du puzzle reconstitué. Pour que ça fonctionne, il faut prévoir un nombre de photos équivalent à un multiple de 3 (= une ligne de photos dans un feed) : 3, 6, 9 ou 12. Vous ne pourrez commencer à poster les pièces de votre puzzle que si le nombre total de vos publications est aussi égal à un multiple de 3. 

Le label de rap Top Dawg Entertainment (@topdawget) met en avant les pochettes de nouveaux albums et fait le buzz sur leur sortie grâce aux puzzles.

La méthode artisanale

Quel que soit le sujet photographié (paysage, objet, soi-même), il faudra le décomposer en autant de photos souhaitées (prises au format carré). Le résultat ne sera pas parfait, même si vous ne bougez pas en prenant les photos, car il sera difficile de faire coïncider les cadres des différentes photos pour donner une impression de continuité. L’intérêt de cette méthode peut consister justement à s’amuser des ruptures, en photographiant un même objet mais en se jouant de la cohérence des cadres, en juxtaposant gros plans et plans plus larges, ou même en changeant de tenue ou de maquillage entre les photos pour accentuer l’effet de rupture.

L'influenceuse Reese Blutstein (@double3xposure), à partir d'une même tenue, propose 3 poses et cadrages différents.

La méthode « propre »

Elle consiste plus simplement à recourir à une application qui divisera votre photo en 3, 6, 9 ou 12 photos. Les plus équipés pourront utiliser Photoshop (logiciel payant) ou Canva (site gratuit en ligne) ; ou, plus simplement, Photo Grid (sur iPhone) ou 9square (sur Androïd). On pourra aussi découper soi-même sa photo en utilisant l’outil de recadrage de son smartphone !

Pour aller plus loin

  • Explorez ce parcours pour mieux comprendre la notion de cadre : Initiation au cadre
  • et amusez-vous à identifiez les différents formats et cadres utilisés au cinéma : Cours en ligne

2 : Partager sur les réseaux sociaux : que raconter de soi et comment

Depuis plusieurs années les réseaux sociaux cristallisent les inquiétudes sur ce que les adolescents livrent d’eux-mêmes. Ce regard anxiogène qui certes s’enracine dans une réalité, masque néanmoins le potentiel créatif auquel ils donnent accès. Les réseaux peuvent en effet être utilisés comme des outils et des supports pour une écriture de/sur soi et ils ouvrent des perspectives créatives fécondes. De nombreux artistes à la croisée du documentaire, du cinéma expérimental et de l’art vidéo s’en sont emparés pour raconter quelque chose de notre époque, de notre rapport aux images, de nos identités et de nos relations aux autres. Qu’il s’agisse de faire retour sur soi ou de questionner l’altérité, les réseaux sociaux fournissent des potentialités formidables pour écriture à la première personne.

Atelier autoportrait numérique

Serge Tisseron, psychiatre et auteur de nombreux ouvrages sur les relations que nous entretenons avec les images et les écrans a beaucoup travaillé sur les effets de la téléréalité puis des réseaux sociaux sur le rapport que nous entretenons à l’intimité. La téléréalité puis les réseaux sociaux ont en quelque sorte rebattu les cartes de la distinction entre intimité et vie publique et mis en lumière notre désir « d’extimité » qui s’exprime par la mise en avant d’une « partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Ce désir se traduit par le fait de « montrer des fragments de son intimité dont on ignore soi-même la valeur au risque toutefois de provoquer le désintérêt ou même le rejet de ses interlocuteurs, mais avec l’espoir que leur regard en reconnaisse la valeur et la valide du même coup à nos propres yeux » poursuit le psychiatre. ».  Ce désir, qui a toujours existé, il trouve aujourd’hui de nouveaux moyens d’expression avec les réseaux.

(Tisseron Serge, « Le désir « d'extimité » mis à nu », Le Divan familial, 2003/2 (N° 11), p. 53-62. DOI : 10.3917/difa.011.0053.)

Enjeux pédagogiques

  • Travailler l’écriture de soi à travers à partir de ses posts sur les réseaux sociaux (photos, vidéos, sons), élaborer un autoportrait.
  • Questionner sa place dans une communauté.
  • Travailler le montage.

Matériel

  • Un smartphone ou ordinateur permettant de se connecter aux réseaux sociaux pour chaque participant.
  • Une appli ou logiciel de montage
  • Un ordinateur, un vidéoprojecteur, des enceintes et un écran pour la projection des travaux réalisés

Déroulement de l’atelier

Chaque participant est invité à réaliser un autoportrait numérique à partir d’une sélection de posts qu’il aura publiés ou relayés la semaine précédent l’atelier.

Le choix du réseau social est laissé à l’appréciation des participants.

Chaque participant fait une sélection de posts qui lui paraissent pertinents pour dresser son autoportrait. Il peut s’agir de vidéos, de photos, de sons, tous les formats sont possibles et pourront être combinés.

Chacun est invité à réfléchir à ce qui peut le définir et le caractériser : ses goûts et centres d’intérêt artistiques et culturels, sportifs…, des objets de son quotidien, son cercle amical et familial, ses engagements…

A noter : faire son autoportrait n’implique pas nécessairement de produire des images de soi. Il est possible de suggérer qui on est sans jamais donner à voir son propre visage !

La deuxième étape consiste à créer un montage de ces posts avec des applications comme Youcut vidéo sur Androïd ou iMovie sur Iphone. Il s’agit de réfléchir à une écriture : que présenter en premier ? Comment articuler les différents posts : se complètent-ils ? Se répètent-ils ? Quel rythme donner ? Comment articuler les images aux sons (une chanson peut par exemple accompagner une série de photos).

Une fois chaque autoportrait achevé, ils sont projetés sur grand écran. Chacun est invité à les commenter. Quelle image donnent-il de leur auteur ? S’agit-il d’un projet qui cherche à affirmer une singularité ou à s’inscrire dans un groupe d’affinités ? Comment des images impersonnelles peuvent-elles être le reflet d’une personnalité singulière ? Comment des images personnelles peuvent-elles exprimer des sentiments ou émotions universels ?

Cet atelier sera l’occasion de pointer que chaque autoportrait est le résultat de choix : il apparaîtra certainement au participants qu’à chaque fois, c’est seulement une ou quelques facettes de lui-même que l’auteur a voulu mettre en avant et partager et qu’au fond ces autoportraits convoquent tout autant l’imaginaire que le réel, tout autant ce que l’on veut montrer que ce que l’on souhaite masquer.

Pour aller plus loin

On peut proposer un atelier autour d’un portrait idéalisé de soi, autour d’un ami fictif…

Le portrait numérique est l’occasion de réfléchir à la notion d’avatar que l’on peut définir comme l’extériorisation d’une représentation de soi liée à la façon dont on souhaite être perçu par ses semblables. L’avatar est toujours à interpréter car il est aux lisières du conscient et de l’inconscient, de l’individu et du groupe, du réel et de l’imaginaire.

Quelques films réalisés à partir d’images postées sur les réseaux sociaux

  • Roman national de Grégoire Beil (2018)
    Ce montage de vifs échanges entre jeunes gens via le chat vidéo Periscope passe de la futilité à l’inquiétude lorsqu’une actualité tragique perturbe le quotidien ludique du selfie.
    Entretien avec le réalisateur

Roman national de Grégoire Beil (2018)

  • Vie et mort d’Oscar Perez de Romain Champalaune (2018)
    Óscar Pérez fut pendant 16 ans un policier d'élite vénézuélien avant de se rebeller contre le gouvernement de Nicolás Maduro en 2017. Ce film est un portrait d'une figure controversée à travers le prisme de ses publications surréalistes sur les réseaux sociaux.
    Entretien avec le réalisateur

Vie et mort d’Oscar Perez de Romain Champalaune (2018)

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