Séance 7 : L’acteur et la mise en scène

L’acteur ne joue pas pour lui-même mais bien pour faire passer quelque chose à celui qui le regarde, regard dont il a conscience tout au long de la représentation, que le spectateur soit dans la salle ou qu’une caméra le filme. Si l’on peut affirmer que l’acteur ne joue pas seul, c’est que non seulement il joue souvent avec des partenaires mais aussi avec et pour des spectateurs, une caméra, et un metteur en scène.

Dans tous les cas, il arrive un moment où ce que l’acteur a préparé (seul et/ou avec le metteur en scène) vient rencontrer une idée de mise en scène. Dominique Blanc peut ainsi raconter le jour où les acteurs de Phèdre, mis en scène par Patrice Chéreau, ont découvert l’immense hangar où allait prendre place le spectacle et le choix de dispositif bi-frontal du metteur en scène.

 

Phèdre, mis en scène par Patrice Chéreau

Elle raconte l’angoisse et l’excitation à l’idée des spectateurs situés, à la fois, à une vingtaine de centimètres et d’autres au lointain, à l’idée d’un spectateur qui puisse les voir de face comme de dos sans presque aucune possibilité pour l’acteur de se rattraper en cas de trous de mémoire ou autre. « Et puis un dimanche soir le public est arrivé. C’était terrible (…) Ils étaient bien 800 et c’était suffisamment effrayant… mais en même temps quel bonheur quand vous arrivez à faire la déclaration d’amour à Hyppolite et que vous sentez que le public tout entier frémi avec vous ce sont des sensations extraordinaires ». La mise en scène peut ainsi venir mettre en danger l’acteur, cette mise en danger accompagnant la recherche d’un rendu sensible du personnage et de l’histoire pour le public.

Ce rendu passe aussi par le travail de la mise en scène. Ainsi, dans la scène de présentation du personnage d’Ismaël dans Rois et reine (Arnaud Desplechin, 2004), toute la mise en scène, le jeu des acteurs, le montage participe à nous dire l’instabilité du personnage, la fine frontière sur laquelle il se tient de l’autre côté de laquelle il pourrait basculer dans la folie. D’abord, il y a l’acteur : habillé d’un peignoir et de baskets, affirmant une chose puis son contraire (« Je parle fort mais je ne crie pas (…) Je crie si je veux »), oscillant entre politesse et vulgarité (« je vais très bien et je t’encule »), posant le hamburger qu’il mange par terre avant de le glisser dans sa poche, il frappe par ses incohérences ou ses contradictions.

Photogramme du film Rois et reine

Par ailleurs, la caméra, à l’épaule durant tout la scène, nous montre un policier dans l’escalier alors que le personnage affirme qu’« il n’y a pas un policier avec vous, vous n’êtes mandatés de rien », les faux raccords qui peuvent nous montrer l’acteur tournant le dos pour rentrer dans son appartement et de nouveau face aux infirmiers le plan suivant, sont autant d’éléments qui prouvent une instabilité, comme si celle du personnage avait contaminé l’ensemble de la mise en scène. Enfin, lorsqu’il semble de plus en plus difficile de croire qu’Ismaël va bien, il demande à l’infirmier d’arrêter de le regarder comme s’il était fou. « Je vous regarde tout à fait normalement » se défend l’homme mais le contre-champ sur le visage de l’infirmier confirme bien l’étrangeté de son regard et donc la véracité de l’affirmation d’Ismaël.

Photogrammes du film Rois et reine

 « - Tu ne me regardes pas comme un des dingos de ton hôpital de trou du cul de je sais pas où !
- Je vous regarde tout à fait normalement »
(Rois et Reine, Arnaud Desplechin, 2004, Videodis)

Les éléments filmiques accompagnent ainsi le jeu de l’acteur pour rendre à la fois sensible et cohérente la folie douce du personnage.

Pratique 7 : Mises en scène et décors vivants

Objectifs : Prise en compte des éléments extérieurs, enrichissants ou déstabilisants, des accidents ; apprentissage de la flexibilité, disponibilité, du lâcher prise, de la souplesse dans le schéma (comme en musique : la partition est écrite mais laisse de l’air à l’interprétation). 

1) Faire des choix

En se servant de toutes les nuances possibles explorées dans les exercices précédents, chaque groupe met en scène sa scène. Les personnages y apparaissent dans leurs subtilités choisies, correspondant au choix de mise en scène (Proche de soi, monstre ? Chuchoté ? extrême ?)

 

2) Profiter de ce qu’il y a. Faire feu de tout bois. Lâcher prise

Les scènes sont reprises avec les décors basiques (chaises table …) et durant le déroulé de la scène, on imagine des ouvriers (respectueux) mais bougeant des meubles, installant une nappe, passant l’aspirateur, mesurant la pièce, installant un tapis sous les pieds des acteurs. On imagine également des sons, (sirène cris …) des moments dans le noir, pendant que les acteurs et personnages continuent leurs scènes en prenant en compte les éléments concrets mais aussi les accidents provoqués.

3) Challenge : introduire les improvisations à partir d’objets dans la scène

- avoir comme challenge de contaminer le partenaire et qu’il reparte avec l’objet proposé : le chapeau, la bouteille, etc.

- jouer la scène avec à manger pour l’un et un verre d’eau pour l’autre, et s’en servir sans perdre les objectifs.

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.