Cameras take five - Mise en scène

"J’ai commencé ce film comme à mon habitude, c’est-à-dire que je n’ai préparé aucun récit, ni personnage ou chapitre avant de commencer cette animation."  Steven Woloshen

Cameras Take Five est l’interprétation visuelle d’un thème musical dont Steven Woloshen se sert comme d’une partition lui permettant d’imaginer ses images. Ce film met en relation des éléments dessinés sur la pellicule avec de la musique et développe ainsi une correspondance très rythmique entre l’image et le son, sans pour autant lier systématiquement et de manière synchrone une forme visuelle à la présence d’un instrument dans la musique. Le réalisateur raconte qu’il a écouté le morceau de Dave Brubeck Take Five une vingtaine de fois avant de commencer la réalisation de son film. Suivant la musique, les motifs qu’ils inventent convient le spectateur à se plonger dans un univers graphique, constitué de formes en perpétuelles évolutions.

Le thème Take Five laisse la part belle au saxophone, les trois autres instruments assurant une base rythmique au morceau. Woloshen dessine sur la pellicule des formes colorées, abstraites, des lignes ondulantes en formes de serpentins, de jambes imprécises, de signes indistincts, des rondeurs, des étoiles, des vagues, des taches, des points, dont l’évolution dans l’espace de l’image change au fil de la musique. Ses motifs s’apparentent principalement à la transcription visuelle des modulations du saxophone. Ce film pourrait se résumer en la rencontre chorégraphique, stimulées par la musique dynamique de Dave Brubeck, de deux couleurs (le rose et le vert), présentes principalement sous forme de lignes oscillantes, bondissantes comme des ressorts. L’aspect chorégraphique du film se perçoit au travers des ondulations des dessins : en solo ou en duo, les lignes évoluent dans l’image comme deux danseurs qui se découvrent et finissent par danser à l’unisson.

Le dessin sur pellicule permettant de créer un imaginaire abstrait fort, Woloshen ne se prive pas de produire des ruptures dans l’image, comme on peut en entendre dans le son, par l’intermédiaire d’apparitions brèves et soudaines d’autres formes. Mais ce film, expérimental dans sa démarche plastique, est aussi une invitation faite aux spectateurs à sillonner au travers de ses signes, trouvant parfois qu’ils dessinent des objets précis, des rencontres entre des personnages, des représentations, certes sommaires, de figures identifiables.

Cameras Take Five peut se rapprocher de la forme du clip vidéo, qui cherche à rendre en image un rythme musical. Mais là où le clip se contente souvent d’effets de montage ou de représentations de personnages (acteurs jouant l’histoire de la chanson, présences des musiciens eux mêmes, évocation narrative par le biais de paysages, de situations…), Woloshen fait de Cameras Take Five une véritable interprétation du thème, non pas par le biais de variations sonores, mais bien au travers une transcription visuelle inventive.

Le film est projeté en CinemaScope, format qui élargit l’image davantage que les formats classiques de projection. La largeur de cette image permet à Woloshen de donner à ses figures de l’espace pour circuler, pour se trouver, se séparer, danser ensemble, s’observer… Le début du film se présente comme un moment de rencontre, où les lignes se tournent autour, comme lors un ballet amoureux. Puis, elles entament une ronde, dansant ensemble, portées par les rythmes de la musique. Peu à peu, les lignes deviennent presque des personnages. Ce genre de figuration via des formes abstraites est fréquent dans le champ du cinéma expérimental, qui développe des notions différentes de la représentation, en passant soit par des éléments totalement abstraits, soit par des gestes cinématographiques très personnels pour saisir le monde. Travaillant le plus souvent seul, les cinéastes expérimentaux montrent de manière intime comment ils se saisissent de ce qui les entoure, les inspire, à la manière des poètes qui nous invitent eux aussi à découvrir d’autres façons de voir et de sentir ce qui les touche. Les cinéastes expérimentaux inventent de nouvelles façons d’aborder notre relation aux images.

À la fin de Cameras Take Five, le générique utilise la même technique que le film lui-même, la musique se poursuivant sur les crédits, très sommaires, Woloshen travaillant seul sur ses films. Remplaçant le traditionnel The End, un "good night" amusant apparaît comme pour inciter le spectateur à prolonger la rêverie musicale du film.

Sébastien Ronceray, 2011