Les Miettes - Propos du réalisateur

Un grand projet de court

Au printemps 2004, Pierre Pinaud prépare un long métrage et désire follement retravailler avec Serpentine Teyssier. Le bonheur des retrouvailles est vite remplacé par une frustration : le tournage du long est annulé et ses finances sont au plus bas. « J’étais dans une impasse et je me donnais quelques mois avant d’arrêter le cinéma pour passer à quelque chose d’autre dans ma vie. Serpentine était dans la même problématique : elle avait quarante ans (un âge critique pour une actrice) et j’en avais trente-cinq. Elle n’obtenait pas de premier rôle. Tout cela avait une résonance sociale : l’exclusion, entre autres par l’âge… Je décidais donc de lui écrire un rôle principal sur mesures, pour un film qui ne reposerait que sur elle et serait à la hauteur de son talent. »

Un film d'actualités

Les deux amis se réunissent une fois par semaine et commencent par un jeu d’improvisation et de mime qui verse dans le cinéma muet. Comme le rappelle le réalisateur : « Il y avait un personnage mais pas vraiment d'histoire définie. » Le hasard, à moins que ce ne soit le travail invisible de l’inconscient, s’invite dans le film. Licenciements et délocalisations font les gros titres et résonnent avec la situation précaire du réalisateur. Le film est l’occasion de « s’arrêter un peu plus longtemps qu’un flash télévisé sur le problème ». Le lien avec le muet devient alors encore plus évident pour l’auteur : « les personnages comme Charlot furent les éternelles victimes de la crise. » Les vrais acteurs de ces drames n’ont jamais la parole : « ils sont, à proprement parler, muets. »

Le processus créatif est en marche et c’est alors qu’une image absurde et burlesque s’impose à Pierre Pinaud. « Une idée fondamentale pour le projet : l'usine se déplacerait et sortirait concrètement de l’image. Une délocalisation dans toute son horreur. » Autour de cette idée surréaliste se construit le reste du film. L’auteur insiste sur le fait que le choix du muet n’est pas un hasard plastique : « nous évoquions à l’écran une délocalisation et une régression sociale. Il était donc tout naturel d’opérer une régression esthétique dans l’Histoire du cinéma. » Ce choix esthétique est très pensé, le réalisateur n'ayant aucune intention de faire de ce film un pastiche ou un hommage au cinéma muet en soi.

Comme dans un rêve

La suite est presque un conte de fées. Le film apparaît comme une évidence à tous les partenaires de Pierre Pinaud à commencer par sa productrice, malgré le budget qui double le prix moyen des courts métrages (110000€) et la lourdeur du projet : il faut construire des décors dans une plaine désertique (ce sera une base militaire), faire bouger une usine (grâce à des effets spéciaux et à des pans de murs plaqués sur un camion pour les plans rapprochés), recréer des décors, des costumes et un maquillage au cachet d’antan, trouver des acteurs à la « gestuelle pure » et doués d’« une expressivité qui ne tombe pas dans un expressionnisme outrancié ». Enfin, la musique est confiée à Gilles Alonzo qui a déjà composé pour des films muets.

Le tournage n'est qu'un début... 

Compte tenu de la durée du film et des nombreux problèmes météorologiques rencontrés par l’équipe (les décors extérieurs se transformèrent en champs de boue), le tournage est relativement rapide : douze jours pour 290 plans dont une centaine incluant des effets spéciaux, lesquels demanderont une année de travail. Les Miettes dure trente-deux minutes mais au départ sa durée était estimée par l’auteur à un quart d’heure, et le premier montage durait quarante minutes. « Une durée trop longue handicape les films pour leur sélection en festival ou leur vente à la télévision au-delà du quart d’heure. Mais ma productrice m’a assuré qu’on ne s’arrêterait que quand je penserais que la bonne durée était atteinte. Tant pis si celle-ci n’était pas commerciale et si le film n’avait pas de chute. »

Afin que le film ait une touche plastique particulière (« muette »), le négatif n’est pas confié à un laboratoire professionnel comme c’est l’habitude mais il est développé « artisanalement,  avec une développeuse négative de l'armée pour obtenir le rendu si particulier des images, qui "vivent", palpitent au rythme des différences de grain, de rayures, de taches, de voiles que ce procédé ne manque pas de générer de façon aléatoire. Nous développions sans assurance le négatif d'un film qui avait demandé énormément d'efforts et d'argent. Malgré les nombreux essais, nous savions qu'un risque était possible. » 

Le montage devra tirer partie de ces défauts et accidents. Aussi est-il confié à Jean-Gabriel Périot, qui « utilise la matière des images d'archives en partant souvent d'une matière muette et ancienne... » Périot est par ailleurs le réalisateur de Eût-elle été criminelle...

Les Miettes est présenté au public à l’hiver 2007 et depuis collectionne les récompenses. Il vient d’obtenir le César du meilleur court métrage 2009. Un conte de fées dont Pierre Pinaud révèle la morale lors de la cérémonie des Césars : « je dédie cette récompense à ceux qui se retrouvent sur le bas-côté. »

Nachiketas Wignesan, 2009.

Pierre Pinaud

Né en 1969, Pierre Pinaud, a écrit et réalisé six courts métrages depuis 1996. Après des études vétérinaires suivies sans conviction à Toulouse, ce cinéphile forcené a intégré l’École Louis Lumière.
Il se fait remarquer avec le court métrage Gelée Précoce (1999), caractéristique du ton volontiers décalé qu’on trouve dans plusieurs de ses films : une adolescente, découvrant l’homosexualité de son lapin, se voit reprocher par ses parents de l’avoir trop cajolé. Elle culpabilise et rend visite à un couple homosexuel pour tenter de comprendre. Le film constitue une fable teintée d’absurde sur l’identité sexuelle et la bêtise humaine.
Son premier long métrage Parlez-moi de vous (2011) porte sur « une quête de reconnaissance intime, familiale et d’identité » : des thèmes récurrents dans une œuvre formellement variée, constituée de farces, de drames et de fables mâtinées de réalisme social. Pinaud aime à se laisser « porter par un destin ou un combat personnel, un trajet et une attention au monde qui nous entoure ». Il est aussi obsédé par « un cinéma qui met au premier plan les comédiens (comme chez Renoir) et leurs émotions. »