Les Volets - Analyse de plan

Le plan-séquence inaugural des Volets dure 4 minutes 40 secondes. En le parcourant chronologiquement dans ses multiples phases et transformations, nous privilégierons deux champs de questionnement, essentiels.

Plan-séquence extrait du film Les Volets, produit par Les Fées Productions.


Essai d’ouverture

1. Questions de narration : le « personnage principal » et le sujet du film. Qu’est-ce qui, dans la mise en scène de ce plan, retarde puis autorise l’accession de Jeanne au statut de « personnage principal » ? Pourquoi le film s’appelle-t-il Les Volets ? Un élément de réponse nous est donné au cours du plan, lorsque le réalisateur se plaint des volets de la maison, sans pour autant dévoiler l’enjeu du film. On s’intéressera à la façon dont le plan nourrit les spéculations des spectateurs quant au « sujet » du film.

2. Questions de mise en scène : axes de caméra, ouverture et clôture de l’espace. L’espace scénique du plan est une longue bande de terrain qui s’étend d’une maison à une autre. Borné à une extrémité par un mur de briques et de pierre, il s’étend de l’autre côté, au-delà de la maison aux volets clos, jusqu’à l’horizon. On suivra, tout au long du plan, l’orientation de la caméra par rapport à l’axe défini par le lieu de tournage, en repérant les nombreux renversements à 180 degrés et leur motivation. On suivra également l’évolution du plan en termes d’ouverture et de clôture de l’espace filmé.

Pour faciliter le parcours du plan, nous proposons de le découper en phases successives :

1. Gros plan sur les mains de Jeanne en train de tartiner le pâté, en une sorte de nature morte rougeoyante, puis plan taille sur Jeanne et l’acteur (Alain). A l’arrière-plan, le mur de briques rouges ferme l’espace.

 

2. Un recadrage vers la droite permet d’accueillir l’assistant réalisateur et relègue Jeanne à la marge du cadre et du film.




3. Les deux personnages marchent jusqu’au plateau. Alain s’installe avec la comédienne, l’assistant va se poster à côté du réalisateur. Jeanne est le premier personnage filmé, mais sa disparition provisoire permet de la constituer comme quantité négligeable du tournage et masque sa place de personnage principal dans Les Volets.
Au cours de ce trajet, la caméra suit les deux personnages puis Alain tout seul et l’on découvre tout à la fois l’équipe de tournage et le paysage ensoleillé, verdoyant, avec la mer à l’horizon. L’espace s’ouvre, l’horizon s’élargit. La caméra effectue ensuite un mouvement de contournement jusqu’à cadrer les deux comédiens de dos, au premier plan. Entre les deux, le réalisateur en petite chemise blanche apparaît à l’arrière- plan. L’axe s’est renversé à 180 degrés.

4. Le réalisateur interrompt le tournage. La caméra reprend alors le mouvement de contournement de la table et l’axe se renverse de nouveau à 180 degrés. La caméra se stabilise avec un cadrage en plan américain des deux hommes légèrement décentrés sur la droite, de telle sorte que la maison aux volets clos à l’arrière-plan se trouve dans l’axe de la caméra. Ce décentrement ménage un espace sur la gauche pour Jeanne, qui fait un retour discret dans le plan avec son plateau de sandwichs. La caméra s’approche, le réalisateur s’éclipse par la gauche du cadre. Jeanne s’approche de Jean-Noël avec son plateau, venant occuper la place du réalisateur.

5. Plan rapproché poitrine sur Jeanne et l’assistant réalisateur. La maison est toujours dans l’axe de la caméra, entre les deux personnages.

 


6. Jeanne se dirige d’abord vers un petit portail donnant sur la route. Nouveau renversement du point de vue au cours de ce déplacement, de sorte que lorsque Jeanne parcourt le jardin en sens inverse, toute l’équipe apparaît en arrière-plan, les yeux braqués sur elle.

On se doutait peut-être que Jeanne serait le personnage principal du film (le générique de début du film, qui ne comporte qu’un seul nom, féminin, constitue un indice en ce sens) mais à présent cela se confirme. Le spectateur est en même temps invité à spéculer sur d’autres pistes : est-ce un film sur le tournage d’un film ?

7. Jeanne longe la clôture de barbelés. La caméra se laisse déborder sur la droite et franchit les barbelés en même temps qu’elle, dans son dos.

Ce franchissement des barbelés procure un certain soulagement : Jeanne s’évade de la prison du plateau, même si elle y est encore rattachée par le talkie-walkie qui l’agresse à chaque halte. Il devient alors tout à fait clair que le plan est sous-tendu par une volonté de ne pas couper, d’accompagner Jeanne dans la durée, ce qui ne va pas sans créer un certain suspense.

8. Jeanne marche vers la maison. Elle est cadrée de dos, en plan moyen. Son arrêt pour examiner sa veste déchirée est mis à profit par la caméra pour la rattraper et venir se poster face à elle, de façon à filmer son visage en gros plan.

L’axe bascule une fois encore quelques mètres plus bas, quand Jeanne s’arrête pour une raison inconnue. Le contournement de Jeanne permet alors seulement de découvrir les vaches, avec un certain effet comique dû à la disproportion entre la sidération de Jeanne et le paisible troupeau. Jeanne franchit de nouveau les barbelés, de même que la caméra. Le plan se termine : la porte en bois ferme l’espace comme la surface rouge de la table aux sandwichs et le mur de l’autre maison, au tout début du plan.