Mic Jean-Louis - Analyse de plans

L’ouverture du film, avant l’apparition des deux cartons du générique, est constituée de trois plans fixes de Jean-Louis : trois portraits successifs du personnage, qui annoncent d'emblée que, en dépit de cette fixité, le sujet et sa représentation ne resteront pas figés.

Portrait 1

 Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (portrait 1)

Le premier plan montre Jean-Louis cadré à la taille, assis sur son lit, chez lui. Il se présente sur le mode de l’interview, répondant visiblement à une question que le montage du film a choisi de ne pas conserver. Le plan suggère la présence, hors champ (un hors-champ vers lequel Jean-Louis dirige son regard à plusieurs reprises), d’une équipe de tournage, ce que confirmera la reprise de ce plan après les cartons du générique, avec l’intervention en voix off de la réalisatrice posant une question à Jean-Louis : "Est- ce que tu sais qu’il y a des gens qui t’appellent Jésus ?"

Portrait 2

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (portrait 2)

Le deuxième plan montre Jean-Louis de trois quarts dos, à peu près dans la même position qu’au plan précédent. Mais il ne parle plus et semble perdu dans ses pensées, la tête un peu relevée. Ici, la composition du plan est travaillée, la réalisatrice redécoupant l’espace de la chambre à l’aide de tous les éléments structurants mis à sa disposition. Une poutre verticale placée sur le mur juste devant Jean-Louis divise la chambre en deux parties ; de l’autre côté de la poutre : un montant du lit, ainsi que la fenêtre placée en amorce en haut à droite du cadre de l'image. Si Jean-Louis ne parle plus, sa voix reprend la présentation entamée au premier plan, mais off cette fois. La voix du personnage se détache de son image et acquiert une autonomie qui lui permettra d’intervenir à plusieurs reprises au fil de la narration. En revanche, le dispositif du premier plan, qui est celui de l’entretien documentaire, ne sera plus repris tel quel, à aucun autre moment du film. Passé le quatrième plan, Jean-Louis ne s’adressera plus à la caméra directement, les entretiens seront menés par d’autres personnages, Claire et l’apiculteur principalement. Ici, le hors-champ est moins présent qu’au plan précédent, l’image est plus fermée sur elle-même, le cadre est une limite, une clôture, plutôt qu’un appel vers ce qui existe au-delà, malgré l’ouverture de la fenêtre — source de la lumière qui découpe de profil Jean-Louis, elle s’apparente plus à un projecteur qu’à une fenêtre. Le plan donne à voir la solitude de Jean-Louis (il encadre littéralement une absence en face de lui) ; il s’agit également, comme le plan suivant, d’un portrait au sens pictural du terme. Jean-Louis y est presque filmé comme une icône, le plan anticipant la question de la réalisatrice à propos de Jésus. On trouve un peu plus loin dans le film (à 9 min 35) une sorte de négatif de ce plan : Jean-Louis y est repris dans la même posture, au même endroit, surpris dans la même rêverie, mais l’axe est inversé, le cadre un peu plus large (la fenêtre entre presque entièrement dans le champ) et le plan est plus sombre (on ne distingue quasiment plus les motifs de la tapisserie murale).

Portrait 3

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (portrait 3)

Le troisième plan est un gros plan de Jean-Louis, de face, toujours perdu dans ses pensées, tandis que sa voix, encore plus détachée de sa figure, continue à raconter l’histoire de sa famille. L’espace de la pièce, mis en relief dans le deuxième plan, est évacué pour se concentrer sur le sujet et sur son visage. La succession des plans focalise littéralement sur le visage de Jean-Louis, et sur ce qu’il y a de doublement vide dans cette succession : à savoir l’espace autour du personnage et le regard de ce personnage. Regard vide car projeté au-delà des choses visibles, semble-t-il — ne dira-t-il pas plus loin que, seul dans sa chambre, il a parfois des "hallucinations" et des "visions" ? Dans sa fixité même — seuls les yeux du personnage sont mobiles, dans une sorte d’extase –, ce troisième plan semble reproduire une photographie. Or "quels seraient les enjeux du portrait photographique ? Une ressemblance, une copie, un simple constat ou au contraire une fiction, une projection, un fantasme ?"* Ressemblance, fiction et fantasme, c’est tout le programme du film qui est contenu dans ce plan que la réalisatrice avait besoin d’amener grâce aux deux plans qui le précèdent. Kathy Sebbah transforme par ailleurs subtilement son personnage en spectre : le premier plan est celui du texte (l’entretien), le deuxième celui du rapport du corps à l’espace (isolement, forclusion), le troisième celui du rapport du regard au visible (et à l’invisible). Nous n’en n’avons pas encore conscience, mais il y a déjà du fantastique dans ce troisième plan, dans ce moment d’absence qu’il est encore trop tôt d’interpréter, dans ce regard indéchiffrable et énigmatique qui rend cette figure absente et la plonge dans une autre dimension, quasi mystique.

* "Portrait" in Anne Goliot-Lété, Martine Joly, Thierry Lancien, Isabelle-Cécile Le Mée et Francis Vanoye, Dictionnaire de l'lmage, Paris, Vuibert, 2006, p. 283.

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