Orgesticulanismus et le cinéma des métamorphoses

L'Homme à la tête en caoutchouc (1901) est l'un des titres les plus célèbres de l'inventeur en cinéma que fut Georges Méliès. Il dit bien l'une des fascinations qui, bien qu'antérieure au cinéma, a trouvé son expression la plus convaincante et la plus impressionnante avec ce dernier : la visualisation de transformations, plus ou moins extraordinaires, du corps humain.

Dans Orgesticulanismus, le moment, pourtant dessiné, qui précède l'enchaînement effréné des transformations corporelles nous renvoie à un imaginaire qui relève moins du cinéma d'animation que du cinéma en prises de vue réelles, et même d'une étape antérieure au Cinématographe Lumière : la chronophotographie de l'Américain Eadweard Muybridge. Chronophotographie, c'est-à-dire : inscription – lumière – temps. Cette donnée invisible qu'est le temps et que Muybridge, dès 1878, se donne le pari fou de révéler en la décomposant, c'est dans des corps humains bien réels qu'il l'inscrit ; peu après, le Français Étienne-Jules Marey fera de même. Leur point de vue semble être celui, distant et détaché, de l'objectivité technique ; toutefois, l'avenir se chargera de souligner à quel point cette exploration scientifique du temps est inséparable du tragique temporel de la « mort au travail » que, selon Jean Cocteau, le cinéma enregistre, ainsi que d'une sidérante aventure de la vision dont l'une des manifestations sera la transformation à vue du corps humain à l'écran.

Texte et choix des extraits : Jean-François Buiré (2009)