Orgesticulanismus - Propos du réalisateur

Humanoïdes associés

Il faut distinguer ce que je fais dans le cadre des activités régulières de Caméra-etc, une association vouée à réaliser des films avec des gens qui n'en ont jamais fait, et Orgesticulanismus, qui est mon premier film en tant qu'auteur. Mais il est également produit par Caméra-etc parce que l'association a décidé de développer une branche de production de films d'auteurs, qui se penche dans un premier temps sur les auteurs issus de l'équipe elle-même. Mon film a été l'un des deux premiers produits dans ce cadre.
Les films d'atelier sont réalisés en cinq à dix journées avec des non-professionnels, souvent des enfants, mais aussi des adultes. On part de rien, de zéro. Le fait que la durée de réalisation soit si courte nous oblige à trouver des solutions très rapidement.
En revanche, Orgesticulanismus représente neuf mois de travail. Mon premier collaborateur était Sébastien Godard. Nous croyions naïvement arriver à faire le film à nous deux. Sébastien a fait quasiment la moitié de l'animation de ce film et a été partie prenante de certains choix artistiques. Nous avons fini le film à six personnes.

Faire du mouvement un personnage

  

Le projet du film est né il y a trois ans et a beaucoup évolué. Au départ, il y avait juste un désir technique, celui d'expérimenter un procédé. L'idée était de faire surgir le mouvement en changeant de personnage à chaque photogramme pour ne plus qu'on puisse identifier un personnage clairement, mais que l'on soit obligé de se rabattre sur la perception du mouvement dans sa globalité. Et puis d'autres éléments plus biographiques se sont mêlés à cette envie. L'intervention du témoignage de mon père est arrivée plus tard. Même si, sous un angle un peu psychanalytique, on peut se dire qu'au préalable le handicap de mon père a peut-être généré l'envie chez moi de faire un film sur le mouvement.
Dans le cas de la première multiplication de personnages dessinés sur fond noir, l'idée était de rendre cette partie du film assez froide et analytique. Le fait d'aposer une grille sur ces personnages n'est pas anodin, cela fait d'eux des objets d'étude, comme si nous étions en train de décortiquer, de mesurer l'amplitude de leurs mouvements. Il me semblait également important de faire appel à des références culturelles communes, la référence à Muybridge était donc tout à fait volontaire.
Dans mon film, le procédé de l'animation est très fortement mis en avant. Une fois que la danse commence, le personnage change tous les deux photogrammes et c'est quelque chose qui aurait été extrêmement difficile à faire en prises de vues réelles. Il aurait fallu que chaque acteur vienne se poser dans une position précise et qu'on le photographie.
Les conditions de réalisation étaient particulières. J'avais des intentions assez claires, mais quand il s'agissait d'images je n'avais pas de consignes très précises à donner à mes collaborateurs. Ils ont reçu l'animation sous une forme spécifique : nous avons fait le mouvement avec un personnage humanoïde (comme ces figures en bois que l'on utilise pour apprendre à dessiner) et ils étaient chargés de placer sur chaque étape du mouvement une enveloppe humaine. Se posait alors la question : quel personnage (un cosmonaute, un bébé, une danseuse, etc.) mettre sur telle ou telle pose ? L'imaginaire du cinéma d'animation déborde de personnages tous plus fantasques les uns que les autres. J'ai eu des Mickey Mouse, des princesses, des chevaliers. J'ai dû ramener mes collaborateurs vers quelque chose de plus réaliste. Je voulais qu'ils dessinent des silhouettes plus quotidiennes, plus simples, comme celles que l'on trouve dans le catalogue de la Redoute.


« Ping-pong » entre bande-son et image

Fabian Fiorini est un musicien de jazz belge réputé que j'ai contacté parce que j'aimais ce qu'il faisait. Nous avons travaillé avec un piano, ce qui ne s'entend pas parce que c'est un piano qu'il a un peu «trafiqué» en plaçant des choses entre les cordes pour obtenir des sonorités étranges. Nous avions de plus à notre disposition une dizaine de structures sonores Baschet . Elles ont des sonorités bizarres mais complémentaires et cohérentes, car elles ont été conçues ensemble et produisent des sons très particuliers qui stimulent l'imaginaire. Puis la bande-son a été créée par ordinateur à partir des échantillons fabriqués. Il y a eu un aller-retour entre création de l'image et de la bande-son : certains choix musicaux ont ainsi provoqué des choix d'animation.

Propos recueillis par Eugénie Zvonkine (2009)

Mathieu Labaye

Mathieu Labaye est né le 5 novembre 1977 à Liège, en Belgique. Selon lui sa vie, dès qu'il a été en âge de tenir un crayon, a consisté à « dessiner, dessiner, dessiner ». Il effectue un passage par des études d'architecture, court mais enrichissant, qui lui apprend à envisager les choses sous tous les angles. Apprentissage utile, car il faut pouvoir dessiner un personnage « sous toutes ses coutures » pour l'animer correctement. Après une école d'illustration à Liège, il étudie à Bruxelles à l'école d'animation La Cambre. Jean-Luc Slock, le directeur de l'association Caméra-etc basée à Liège lui propose de venir y travailler avant même qu'il ait fini ses études. Depuis fin 2002, il y a trouvé un équilibre entre le travail en atelier avec des non-professionnels et le développement de projets plus personnels. Orgesticulanismus s'appuie sur le témoignage de son père, Benoît Labaye, conseiller municipal écologiste à Liège. Il s'agit de son premier film en tant que réalisateur.