Fantasy, de Jérémie Périn

Lorsqu'ils sont réussis, les vidéoclips surprennent par leur richesse. C'est le cas des trois minutes trente que dure Fantasy. La mise en scène de ce clip, qui prend la forme d'un dessin animé, est claire, épurée, et le résultat n'en est que plus dense. Le sens des moments successifs qui le composent ne cesse de se démultiplier, comme un écho, par couches successives.

Avertissement : le clip Fantasy présente des images de violence physique et d'actes sexuels. De ce fait, son visionnage est déconseillé aux personnes âgées de moins de douze ans.

Fantasy est un titre du musicien français Juan de Guillebon, alias DyE, les paroles sont de Guillaume Teyssier et le clip a été réalisé en 2011 par Jérémie Périn. DyE a plusieurs fois eu recours à l'animation pour ses clips : ce mode d'expression semble accompagner harmonieusement son travail musical. Volontiers sulfureux du fait de son érotisme et de sa violence, ce clip se distingue par son découpage rigoureux. Les plans sont porteurs des strictes informations nécessaires à la narration, et à la mise en place d'une ambiance très particulière.

Malgré sa courte durée, on peut diviser le film en trois moments. Dans le premier, quatre adolescents, deux filles et deux garçons, entrent par effraction dans une piscine, de nuit. Alors qu'un des deux couples s'enlace au bord du bassin, la seconde jeune femme reste rétive. Deuxième moment : pour échapper aux avances du garçon qui tente de l'embrasser, la jeune fille timide plonge dans la piscine. Elle en ressort bien vite après avoir constaté que son sexe était animé d'étranges soubresauts, mais c'est pour constater que le couple d'amants s'est transformé en duo de créatures monstrueuses. Le clip devient alors un véritable film d'horreur. Le second garçon est déchiqueté et la jeune fille, pour échapper aux monstres, plonge de nouveau dans la piscine, à pic. Troisième moment : le fond du bassin se présente à la jeune fille comme une seconde surface aquatique, où elle se reflète. Elle se décide à traverser ce miroir liquide et se retrouve dans un paysage inconnu et désolé. Percée de part en part par deux faisceaux embrasés, elle s'effondre face à l'ombre d'une entité gigantesque. Cette entité, dont on ne sait si elle est organique ou astrale (elle apparaît ceinte d'anneaux, telle une planète), semble régner sur un monde de chaos.

 Douceur, horreur

Graphiquement, Fantasy relève du trompe-l'œil dans la mesure où les couleurs dégradées des décors, le travail élaboré des lumières et le traitement réaliste des personnages rappellent au premier abord certains anime (dessin animé japonais) pour adultes. On peut penser à Perfect Blue (Satoshi Kon, 1997) et à sa description du monde de l'adolescence et de ses errements. Le projet, ici, est de conter une histoire horrifique sous une forme courte et animée. Le style de l'anime s'est vite imposé à Jérémie Périn, pour plusieurs raisons. Ce style fait partie de la culture du réalisateur et de ses collaborateurs, et il présente au premier abord une tonalité douce et familière, laquelle rappelle aussi les scènes de Trois couleurs : Bleu (Krzysztof Kieslowski, 1993) où Juliette Binoche affronte un deuil en nageant dans un bassin de nuit. Cette atmosphère contraste avec la violence et avec l'érotisme du deuxième et du troisième moments du film, qui montrent le basculement inéluctable de la jeune fille dans l'horreur. Ces deux derniers moments tranchent également avec la musique éthérée de DyE : malgré des envolées plus lyriques et sombres vers la fin, les couches de synthétiseurs restent enveloppantes et mélancoliques.

Le véritable moteur du film est sa mise en scène, plus particulièrement son travail de découpage et de cadrage. Ce dernier est plus posé et moins dynamique que celui qui se manifeste dans les productions japonaises, d'où une respiration des plans différente. La durée courte du vidéoclip incite fortement à synthétiser les idées et à concentrer le propos. Chaque plan, par sa composition, son échelle ou sa durée, contribue efficacement à la progression de l'intrigue et de l'ambiance terrifiante. Sans transition, Jérémie Périn rompt alors avec le ton qu'il a soigneusement installé dans les scènes du début, passant à une imagerie proche de films d'horreur américains tels que The Thing (John Carpenter, 1982), ou des bandes dessinées fantastiques de Mike Mignola (les créatures) et de Richard Corben (le décor final). Mais de même qu'il n'a pas cédé à la complaisance d'une utilisation exclusivement esthétique du style manga, il ne se laisse pas griser par les moments horrifiques de son film. Jamais il n'oublie de nous maintenir proche de son personnage principal : la jeune fille.

Fantasy@Jérémie Périn

 Entre deux eaux

D'un bout à l'autre de l'histoire, ce personnage ne cesse d'osciller, d'aller et venir entre deux possibles. La jeune fille entre avec ses camarades par effraction dans la piscine, bien que cela semble la mettre mal à l'aise. Il n'est pas impossible que le garçon qui reste auprès d'elle lui plaise, mais elle n'est pas prête à l'embrasser. Elle fait l'expérience d'un début de transformation (qui se manifeste par des mouvements incontrôlés au niveau de son sexe) mais y échappe en sortant du bassin. Enfin, elle hésite un instant entre les deux surfaces que la piscine lui présente. Le parcours de cette jeune fille est le véritable fil rouge du film, jusqu'à sa perte. Son dernier choix l'oblige à une inversion des valeurs fondamentales (le haut et le bas) et à une traversée du miroir.

Le miroir touche à notre propre image en tant qu'individu, à notre identité physique et sexuelle. Dans la mythologie grecque, Narcisse, se mirant dans l'eau, perçoit tantôt l'image d'un homme, tantôt celle d'une femme. Il hésite. On peut imaginer que cette jeune femme, de façon inconsciente, a le même questionnement. Transposée dans les termes d'un récit fantastique, la poursuite d'une réponse la mènera au chaos, au néant et à la mort. La conclusion de ce clip animé surprend par son âpreté et son pessimisme. Cela contribue à faire de Fantasy une œuvre à part, qui ne se complaît jamais dans les codes graphiques ou moraux des productions dans lesquelles elle s'inscrit pourtant ; un clip qui semble au départ fait pour plaire, mais qui laisse en fin de compte sur une note sombre, trouble et fantastique.

Auteur : Denis Walgenwitz, réalisateur. Supervision : Jean-François Buiré. Ciclic, 2015.

 

Fantasy © Jérémie Périn

 



Signalons l'existence d'un « remix » autorisé (et très bien fait) qui transforme le clip animé de Jérémie Périn en dessin animé dialogué et sonorisé : 
DyE - Fantasy (Sound Redesign)

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