De l'album jeunesse au cinéma d'animation, et vice versa

Ce parcours pédagogique tend à répondre à une question fondamentale aujourd’hui : comment sensibiliser le regard des jeunes enfants à partir d’œuvres littéraires et cinématographiques ? De façon ludique, et à partir de nombreux extraits de livres pour enfants et de films d’animation, Marielle Bernaudeau aborde les notions de cadre, de plan, de mouvement…, qui sont propres à la fois à la littérature jeunesse, et au cinéma. En bibliothèques, à l’école, dans les salles de cinéma après des projections, ce parcours invite les enseignants et médiateurs à faire naître chez les jeunes lecteurs et spectateurs une sensibilité envers les images.

 « La culture n’est pas autre chose que cette capacité de relier le tableau ou le film que l’on est en train de voir, le livre qu’on est en train de lire, à d’autres tableaux, à d’autres films, d’autres livres. » - L’hypothèse cinéma, Petit traité de transmission du cinéma à l’école et ailleurs, Alain Bergala, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2002


Tentative de définition des deux médiums

à partir de deux œuvres du patrimoine :

  • Der Struwwelpeter, Heinrich Hoffmann, 1845

 Adaptation par Louis Ratisbonne, Hachette, 1866 (1) / À droite : Adaptation de Cavanna, L'école des Loisirs, 1979

En 1844, à la veille de Noël, le docteur Heinrich Hoffmann parcourt les différentes librairies de Francfort à la recherche d’un livre à offrir à son fils ainé, âgé de 3 ans. Déçu par les livres qu’on lui propose il rentre chez lui avec un cahier vierge, décidé à réaliser lui-même le livre désiré. Dans la postface à l’édition de 1876, le docteur Hoffmann explique qu’il avait l’habitude d’utiliser une feuille et un crayon pour calmer ses jeunes patients.

« J’improvise sur le champ une historiette comme celles qui figurent dans ce livre, je la griffonne en trois coups de crayon et, en même temps, je la raconte de la façon la plus vivante possible. Le petit récalcitrant se calme, ses larmes sèchent et le médecin peut donner ses soins aisément. » (2)

La création simultanée des images et du texte telle que la pratique le docteur Hoffmann est une véritable révolution dans l’édition jeunesse. L’image n’est plus au service d’un texte qu’elle illustre mais le texte et l’image collaborent étroitement à la construction de l’histoire.

Zoom sur l’une des dix histoires qui composent le recueil :

LHistoire de la soupe de Gaspard, tient sur une seule page, trois vignettes successives nous montrent l’entêtement et l’amaigrissement de Gaspard. Pour renforcer l’effet, le point de vue adopté s’éloigne progressivement de la scène, la table devenant de plus en plus petite. Dans la quatrième vignette, Gaspard est vu de profil, il est en mouvement vers une destination illustrée dans la dernière vignette, sa tombe ! Le texte en vers inscrit l’action dans une succession de jours scandée par les refus répétés de Gaspard. Il interpelle le jeune lecteur en l’invitant à observer sur les images la maigreur du jeune héros : voyez-le là ! et voyez encore !.

 

Image tirée du livre L'Histoire de la soupe de Gaspard

Image tirée du livre L'Histoire de la soupe de GaspardL’issue cruelle de l’histoire est atténuée par l’humour du dessin. Le docteur Hoffman propose volontairement des « représentations déraisonnables, horribles, exagérées (2) » afin de provoquer le rire des enfants. Le cinéma burlesque et les cartoons reprendront à leur compte cette violence poussée tellement à l’extrême qu’elle en devient comique.

 « Champ d’expression plastique et graphique, l’album retire de ses origines antiques son espace, celui d’une grande page, blanche en général, ou peuvent se combiner, voir se superposer, les éléments textuels et iconiques, tout en accordant une place d’honneur à l’image. » Le livre d’enfance et de jeunesse, sous la direction de Jean Glénisson et Ségolène Le Men, société des bibliophiles de Guyenne, 1994 (citation)  « Nous entendons par album de jeunesse tout ouvrage illustré dont les illustrations apportent au texte un éclairage différent. Contrairement à sa fonction dans l’imagier, l’illustration ne redit pas le texte mais lui fait prendre une dimension signifiante à un niveau supérieur. Ce peut être une note d’humour, un clin d’oeil au lecteur, un approfondissement du sens, voire un point de vue différent de celui du texte. » Salerno, Dialogues et Cultures, n°51, revue de la FIPF, 2006.


  • Fantasmagorie, Emile Cohl, 1908

Au cours de l’été 1908, un étrange petit film est projeté dans une salle de théâtre parisien. Réalisé par Émile Colh, dessinateur célèbre pour ses caricatures publiées dans la presse satirique, c’est un des tout premiers dessins animés cinématographiques. À la suite de l’américain James Stuart Blackton (3), Émile Colh utilise une amélioration technique de la caméra appelée Le tour de manivelle (4) pour donner vie à ses dessins.

Dès le premier plan, il met en scène sa propre main en train de dessiner un personnage facétieux suspendu à un trait horizontal. Ce dernier semble être son alter égo, il fait le lien entre des scènettes qui se succèdent à un rythme effréné. Il a le don d’ubiquité. Il apparaît, disparaît et se transforme au gré de situations loufoques.

Photogrammes du film Fantasmagorie

Couverture du livre Mon Petit RoiCent ans plus tard, la main d’un autre démiurge apparaît dans un album jeunesse (5). Les auteurs, Rascal et Serge Bloch, nous invitent à suivre la création d’un monde imaginaire conçu ex nihilo. Par l’intermédiaire d’une main photographiée, ils discutent avec un petit roi dessiné au trait. Née de l’imagination des deux auteurs, l’existence du petit personnage n’en devient pas moins concrète au fil des pages ; il a un visage, un nom, il est doué de la parole et éprouve des sentiments.

Mon Petit Roi tout comme Fanstasmagorie nous montrent des fictions qui s’assument en tant que telles. Elles entretiennent une grande complicité avec les jeux symboliques de faire semblant développés par les enfants dès leur plus jeune âge. Et si on inventait un monde …

 une représentation, non une captation du réel. » Xavier Kawa-Topor, Cinéma d’animation, au-delà du réel, capricci, 2016.

Pour commencer ce parcours autour des liens entre les albums jeunesses et les films d’animation, rien de plus essentiel que de s’asseoir à côté d’un enfant dans une médiathèque ou/et dans une salle de cinéma. De partager avec lui ce plaisir d’explorer des mondes imaginaires conçus par des artistes avec des mots, des images et des sons.

Très souvent, la première rencontre entre l’oeuvre et les enfants se fait par l’intermédiaire d’une couverture ou d’une affiche. Prendre le temps d’explorer ces supports et de rappeler inlassablement que derrière chaque œuvre il y a des créateurs.

Ce parcours tel un guide de voyage n’a d’intérêt que lorsque vous allez vous en emparer pour le compléter et le détourner. Petit et grand lecteur, petit et grand spectateur, quelles sont vos oeuvres « les plus géniales » ?

Quand le lecteur et le spectateur sont présents dans l’œuvre…

Personnellement, j’aime les livres dont les mots et les images laissent de la place aux lecteurs et aux spectateurs.

 Couverture du livre intitulé Le livre le plus génial que j'ai jamais lu et image de Duffy Duck and Egghead de Tex Avery

Voir la séance suivante

  TEXTES : Marielle Bernaudeau, La fille de Corinthe CICLIC : 2021

 

 
1) Pierre l'ébouriffé : joyeuses histoires et images drolatiques pour les enfants de 3 à 6 ans  
2) Comment naquit le « Struwwelpeter », postface écrite par l’auteur à l’occasion de l’édition du jubile (1876) dans Crasse-Tignasse du Dr. Heinrich Hoffmann ou histoires cocasses et drôles d’images adaptées de l’allemand par Cavanna, les lutins de l’école des loisirs, 2016
3) Humorous Phases of Funny Faces de James Stuart Blackton, 1906
4) « One turn, one picture », la caméra enregistre une seule image à chaque tour de manivelle.
5) D’autres mains de démiurge… Humorous Phases of Funny Faces de James Stuart Blackton, Koko le clown de Max et Dave Fleischer, La linéa d’Osvaldo Cavandoli, La boîte de Co Hoedeman
6) Émile Cohl, Ce soir, quotidien du 24 avril 1937 
7) Xavier Kawa-Topor, Cinéma d’animation, au-delà du réel, capricci, 2016