Les marmottes de France 3

À l'été 2015, un groupe de marmottes musiciennes est apparu sur la chaîne de télévision France 3, contribuant à illuminer un paysage audiovisuel parfois déprimant. Entretien avec leurs créateurs.

Devenus fans de ce groupe de rongeurs aux styles musicaux variés (qu'on a retrouvés avec bonheur l'été suivant, aprés leur hibernation annuelle), nous avons interrogé les membres de l'agence Dream On qui ont conçu et réalisé ces intermèdes, exemple d'anthropomorphisme intelligent, drôle et poétique. Tous nos remerciements à Anthony Sebaoun, à Juliette Clerc et à Ivan Grangeon qui ont bien voulu nous répondre, ainsi qu'à Julia Thet de l'agence Julia.

Pourriez-vous présenter l'agence Dream On et les personnes qui, en son sein, ont participé au projet des marmottes musiciennes ?

Dream On est une agence qui accompagne ses clients dans leur problématique de branding (gestion de l'image de marque d'une entreprise) et de communication, quel que soit le support ou le média. Depuis une vingtaine d’années, l'agence s’est notamment distinguée par son activité concernant l’identité de chaînes de télévisions.

Chez Dream On, le projet des marmottes a été conçu par Anthony Sebaoun, directeur de création, Ivan Grangeon, directeur artistique et réalisateur, et Hervé Prat, concepteur-rédacteur. Ulyssia Marchais, productrice artistique, l'a produit sous la supervision de Juliette Clerc, directrice conseil.

On dénombre neuf intermèdes mettant en scène les marmottes musiciennes : électronique, gypsy, hard rock, mariachi, péruvien, rap, rasta, sixties et vahinés. Le compte est-il bon, et le terme « intermède » vous semble-t-il pertinent ? 

Il y a bien neuf films, sans compter les nouvelles marmottes qui vont arriver pour les fêtes de fin d’année ! Nous les appelons des idents, terme anglais désignant ce type de films courts qui promeuvent une chaîne. Mais la notion d’intermède est assez juste, car il s’agit bien en l'occurrence d’intermèdes musicaux.

Quelle était la commande initiale de France 3, et comment le projet a-t-il évolué ?

France 3 a toujours porté un intérêt particulier à ses habillages d’été et de fêtes de fin d’année. Après les animaux dessinés, les ours en origamis et les animaux sauvages, la chaîne a lancé un appel d’offres pour produire une nouvelle collection d’idents pour l’été. Connaissant bien ce client, nous avons repris l'idée de mettre en scène des animaux. Par ailleurs, nous nous sommes souvenus d’anciens jingles de la chaîne musicale anglaise E4, où un groupe de musiciens habillés aux couleurs de la chaîne jouait dans des lieux improbables, créant ainsi des situations absurdes. Nous nous sommes dit qu’on pourrait retrouver cet état d’esprit avec des animaux, et nous avons commencé à écrire.

Amuser ou charmer en représentant des animaux qui se comportent comme des hommes, c'est a priori banal, voire rebattu...

Tout dépend de la mise en scène : il y a mille façon de raconter cela, et chacune d’entre elles va apporter un ton particulier, créer un objet nouveau. Les précédents idents étaient déjà centrés sur des animaux, mais le résultat était très différent.

Créer un groupe d’animaux musiciens nous emmenait déjà ailleurs. Et puis nous voulions créer des situations absurdes et décalées, et pour cela pousser le réalisme au maximum en évitant le côté trop « cartoon ». C’est pourquoi nous avons veillé à ce que nos personnages jouent de leurs instruments comme de vraies marmottes que l’on aurait dressées, avec les petites maladresses qui vont avec, et non comme des êtres humains. Et ça, c’est quelque chose que nous avions peu vu.

Un jour sans fin (Groundhog Day, 1993), de Harold Ramis

Pour ces intermèdes estivaux, le choix de la marmotte est à la fois judicieux et drôle. Le souvenir de la comédie américaine Un jour sans fin, dans laquelle une marmotte joue un rôle important, a-t-il pu vous influencer ?

Nous cherchions un animal sympathique et qui sait se tenir debout, pour pouvoir jouer de la musique de manière « naturelle ». Nous avons pensé au suricate, au hamster ; nous avons même imaginé un temps mettre en scène différentes espèces. Mais la marmotte, qui ne sort qu’en saison chaude, s’est imposée. Et même si Un jour sans fin ne nous a pas inspiré au départ, nous y avons bien sûr pensé pendant la production !

Pourriez-vous retracer dans les grandes lignes l'élaboration de ces intermèdes ?

Partant de l’idée de faire jouer de la musique à des marmottes, il a fallu définir une bible d’écriture : combien sont-elles ? Jouent-elles toujours le même morceau ? Comment sont-elles habillées ? Y a-t-il une présence humaine ?

Afin de donner une identité sonore à la collection, nous avons opté pour un groupe qui jouerait toujours le même morceau, arrangé selon des styles différents. Nous avons décidé d'accessoiriser les marmottes en fonction de chacun de ces styles musicaux, mais toujours dans un souci de réalisme et de minimalisme. Nous avons cherché des références de styles et de groupes qui parleraient à tous, qui seraient rapidement identifiables et bien sûr susceptibles de faire sourire. Puis nous avons cherché le décor qui conviendrait le mieux pour chaque style, et de petits « accidents » qui rendraient le tableau comique.

Pour la postproduction, nous avons fait appel à Mikros Image, pour son expertise dans les animaux à poils en image de synthèse. Une fois les marmottes et les accessoires modélisés et texturés, nous avons fait des tests d’animations pour trouver le ton juste. Les musiques ont alors été composées par le Studio Chez Jean, avec qui nous travaillons souvent, et les animateurs 3D ont commencé à faire vivre les marmottes sur la musique. Nous avons ensuite organisé le tournage des décors.

Les endroits où les marmottes jouent de la musique semblent réels. Comment s'est effectué le choix des lieux de tournage, et leur traitement visuel en postproduction ?

France 3 étant la chaîne publique dédiée aux régions françaises, notre objectif était de représenter celles-ci. Nous avons fait un repérage dans la région de Montpellier car elle nous semblait pouvoir réunir tous les décors dont nous avions besoin. Pour la deuxième saison, nous avons tourné en région parisienne.

Nous cherchions des lieux qui évoquent l’été : plage, piscine, etc. Les décors ont été choisis pour leur simplicité et leur aspect trivial, nous ne voulions pas de lieux qui aient l'air trop « léché » ou publicitaire. Il y a toujours une présence humaine : nous voulions donner l'impression que les marmottes étaient parmi nous, et le fait que personne ne leur prête attention renforce le côté absurde. Pour la décoration, nous avons ajouté des taches de couleur, les marmottes ayant le poil assez terne !

En réalisation, nous avons choisi un lent travelling latéral continu, qui donne le sentiment de passer devant les marmottes par hasard, sans s’y attarder.

Quant à la postproduction, elle est assez simple pour les décors : il y a principalement le tracking (pour intégrer les marmottes dans les mouvements de caméra), le compositing (pour intégrer les marmottes en 3D dans les décors réels) et l’étalonnage (optimisation de la chromie). Nous avons recueilli sur chacun des décors une image contenant toutes les informations de lumière, pour pouvoir ensuite reproduire le même éclairage sur les marmottes et leurs instruments. 

Pour le thème musical récurrent, avez-vous écarté certains types de musique, et d'autres styles pourraient-ils donner lieu à de nouveaux « bœufs marmottiens » : jazz, disco, glam rock, punk, raï, musique de chambre ?

Nous nous sommes interdit de faire chanter nos marmottes : on ne pouvait donc pas en faire un chœur, par exemple. À part ça, nous n’avons rien écarté. Il fallait tout de même trouver des styles associés à des particularités physiques que l’on pouvait reproduire grâce à des accessoires : chapeaux, coiffures, etc.

Oui, les marmottes vont s’essayer à d’autres styles pour l’hiver. Parmi ceux que vous citez, on peut retenir le disco et la musique de chambre…

La multidiffusion de ces intermèdes peut amener le téléspectateur à découvrir certains détails (la tête de squelette de marmotte sur la grosse caisse du groupe de hard rock, par exemple), et à se rendre compte de certaines constantes : léger mouvement de caméra, nombre des marmottes, etc.

Nous avons imaginé que c’était le même groupe de marmottes que l’on suivait de film en film, c’est pourquoi elles sont toujours quatre — à l’exception des gypsys dans la deuxième saison, qui sont six, car le grand nombre de musiciens fait partie des constantes de ce style de musique. Disons qu’elles ont invité deux copines pour l’occasion !

Par ailleurs, on peut en effet découvrir plein de petits détails en revoyant les films, des choses différentes à chaque visionnage.

Quels échos avez-vous eus de la part des téléspectateurs ?

Globalement, ils ont été excellents. France 3 nous a donné à lire un nombre incroyable de lettres de personnes qui tenaient à faire part de leur enthousiasme. A priori, c’est sans précédent. Il y avait également quelques lettres de mécontentement, parmi lesquelles certains disaient que les marmottes leurs faisaient peur, ou se demandaient si les animaux n’avaient pas été malmenés… Mais dans l’ensemble ce fut largement positif, nous avons même reçu des lettres à l’agence !

Ces intermèdes encadrent des publicités, mais en eux-mêmes ils ne vendent rien. Toutes proportions gardées, on peut les considérer comme des bouffées de liberté visuelle, de fantaisie éphémère par rapport aux normes d'incitation consumériste de la publicité...

Dire que ces intermèdes ne vendent rien n’est pas tout à fait juste dans la mesure où la chaîne s’en sert pour véhiculer son état d’esprit, donc son image. Ceci dit, nous les concevons effectivement comme des respirations dans le flux très dense que la télévision propose la plupart du temps, et en particulier la publicité. L’absence de narration et la gratuité du propos en font bien des « fantaisies ».

Entretien proposé par Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.