Entretien avec Antonin Peretjatko

La comédie n'était pas à la base ma vocation absolue. Je savais seulement que montrer l'intériorité ou la psychologie des personnages ne m'intéressait pas. Je me suis aperçu que les quelques gags de mon premier film, L'Heure de pointe, marchaient plutôt bien en projection. J'ai adoré cette jubilation. Du coup, j'ai laissé aller mon penchant comique, d'autant que je trouve qu'il y a peu de comédies d'auteur dans les courts métrages. Changement de trottoir, mon deuxième film, était encore assez élégant. French Kiss est volontairement plus hirsute : j'essaie de diversifier les styles comiques, de la blague enfantine à l'humour potache, à la limite du lourd. C'est une sorte d'expérience. Je ne cherche pas spécialement, en revanche, le second degré.

J'ai vraiment conçu French Kiss comme une comédie politique, notamment sur les Américains. Les points d'interrogation qui apparaissent à l'écran interrogent entre autres la place des Américains, comme lorsque Kate se demande « Où vais-je ? » devant une enseigne reprenant des noms de villes du monde entier. J'assume complètement le fond anarchiste. La comédie permet plus facilement de faire passer des idées, alors que le film dit social prêche un peu pour les convertis et a tendance à ressasser les clichés médiatiques. Je trouve que de nombreux films de ce genre font semblant de réfléchir. Je préfère faire semblant de ne pas réfléchir.

Contre les tournages assis

On est toujours debout sur mes tournages. Je n'aime pas réaliser assis parce que ça fait logiquement un film assis. On tourne sans combo (moniteur), je fais confiance au cadreur. Comme j'ai une formation technique, je peux suivre, parler d'égal à égal avec les techniciens. Le rythme du tournage est très important. Cela ne doit jamais retomber. C'est pour ça que je préfère les équipes légères (moins de dix, comédiens compris) : on se déplace très rapidement, on n'a pas de grosse machinerie. J'ai une idée du montage très précise dès le tournage. Beaucoup de réalisateurs tournent sous plusieurs axes, par sécurité, et choisissent au montage. Moi, c'est la plupart du temps un seul axe.

Le goût de l'accélération

Le rythme de tournage est aussi important parce que je voulais un film en accélération perpétuelle, de plus en plus fou, avec des fausses fins. On croit que c'est fini et ça redémarre. C'est pour cela que j'aime beaucoup les panoramiques rapides, qui précipitent la situation. La rapidité est importante selon moi, en termes comiques : on doit enchaîner gag sur gag, afin que le spectateur, s'il n'accroche pas au premier, puisse tout de suite en expérimenter un autre. En contrepartie, il faut veiller à resserrer au maximum le montage final, pour éviter les temps morts. J'essaie toujours de faire le plus court possible. French Kiss faisait à la base 23 minutes, il en a au final cinq de moins.

Ce goût de la vitesse doit expliquer le fait que j'ai toujours tourné en accéléré, à moins de 25 images par seconde. Le calcul est simple : si on tourne à 18 images, le film est accéléré, si on projette à 18, il est ralenti. Au départ, cela a été un moyen de contourner ce problème : alors qu'on tourne habituellement à 25 images par seconde, on projette les films à 24. Du coup, c'est un peu plus lent. On perd en tonalité de son et en rythme. Un film de 10 minutes tourné à 25 images fera 11 minutes s'il est projeté à 24. J'ai du coup tourné Changement de trottoir à 23 images par seconde pour anticiper ce ralentissement. On sentait tout de même l'accélération dans certains plans et l'effet m'a intéressé : j'ai forcé la dose dans French Kiss en le tournant à 21 images.

Images rapportées : citations et documentaire

Les références à la Nouvelle Vague, dans mes films, relèvent de l'inconscient. Dans L'Heure de pointe, je ne cherchais vraiment pas à faire un pastiche, ce que beaucoup ont cru. Quand on le tournait, l'équipe pensait plutôt que ça allait ressembler à du Mocky. Godard est bien sûr important pour moi, mais je préfère ses films les plus récents. Si j'ai une référence consciente, c'est plutôt Blake Edwards.

French Kiss semble fait de bric et de broc : j'aime bien le côté débraillé, faire semblant de ne pas faire attention. On croit souvent qu'il y a beaucoup d'improvisation alors que c'est en fait très écrit. Le mélange entre fiction et images documentaires relève du même parti pris : toujours casser le rythme, mélanger les différents régimes d'image, et aussi ancrer un film a priori fantaisiste dans une époque et une réalité. Les prises de vue du défilé du 8 mai ont été réalisées trois mois après le tournage (tout comme la séquence du pont et des cartes postales). J'avais un problème de rythme au montage, j'avais besoin d'une sorte de parenthèse. J'en ai parlé avec mon producteur et on est finalement allé au défilé avec les deux acteurs. C'est un détour, une digression à la fois documentaire et irréelle.

Propos recueillis par Hervé Aubron (2005)

Né en 1974 à Grenoble, Antonin Peretjatko intègre l'école Louis-Lumière en 1999, section image. Après deux documentaires réalisés dans le cadre de sa scolarité, il réalise en 2002 une première fiction, L'Heure de pointe , tournée sans aide financière et qu'il développe lui-même : le film joue de ces conditions artisanales, sa texture reproduisant celle d'une vieille copie (noir et blanc granuleux, rayures, voilage...). Racontant, sur fond de voix offet de jazz, les facéties et la mélancolie d'une bande de copains parisiens, il est souvent perçu comme un pastiche de la Nouvelle Vague. Suit en 2003 Changement de trottoir, qui explore en couleurs la même veine, puis en 2004 French Kiss, d'apparence plus composite. Peretjatko a depuis réalisé un moyen métrage, L'Opération de la dernière chance (parodie de film d'espionnage, basée sur des images de vacances), et un long, La Fille du 14 juillet, qui reprend le registre (et une bonne part des comédiens) de French Kiss.