6. Gérard Leblanc, Brigitte Devismes : Le Double Scénario chez Fritz Lang (1991)

Le Double Scénario chez Fritz Lang se fonde sur les nombreux documents relatifs à son travail de cinéaste confiés en 1955 par Fritz Lang à son amie Lotte Eisner pour être déposés à la Cinémathèque française, et plus particulièrement sur ceux concernant son film Règlement de comptes (1953). Il serait difficile de citer des extraits de ce très grand livre (ne serait-ce que par sa taille : 25 x 34 cm !) comme on l'a fait pour les autres ouvrages de la présente sélection. Non pas qu'il ne fasse preuve, comme ceux-ci, d'une évidente qualité d'écriture, mais sa puissance spécifique résidendans la manière dont il a été pensé, composé et mis en page, manière assez inédite dans le paysage des livres portant sur le cinéma (en tout cas français). Plutôt que de paraphraser ce qui a déjà été bien écrit par d'autres, nous nous permettons de contresigner des extraits de deux des comptes rendus élogieux qui, lors de sa parution, ont été faits de cette entreprise éditoriale rare, malheureusement restée trop méconnue depuis.

 

 

EXTRAITS :

Raymond Bellour (source inconnue) :

« C'est ce combat [de Fritz Lang contre le système de production et d'écriture hollywoodiens] que nous content Gérard Leblanc et Brigitte Devismes, dans un des livres les plus extraordinaires jamais conçus pour l'édition de cinéma (...). Lang se réservait (...) une clause de réécriture du scénario dont il n'était, selon la norme hollywoodienne, que le metteur en scène. [À travers les différentes] moutures d'un même scénario modifié et remodifié parfois jusqu'au jour du tournage, [on voit Lang] confirmer avec une obstination (...) sans faille sa vision de l'espace et du monde au détriment de celle de ses collaborateurs obligés. (...) La force unique de ce livre est de se dérouler lui aussi comme une enquête : toutes preuves à l'appui, restituées, ordonnées, commentées, avec une minutie extrême, sur deux ou trois colonnes en grand format, grâce à tout un travail typographique et à la mise en regard des photogrammes (il y en a 350, d'une qualité et d'une efficacité remarquables), en suivant le travail du film, de scène en scène, de plan à plan. On voit ainsi Lang arracher à son scénariste Sydney Boehm un [film] policier astucieux mais traditionnel, d'une visée psychologique et sociologique moyenne, pour en faire une tragédie du destin personnel et de la liberté intérieure. »

 




Marc Vernet (Cinémathèque n° 1, mai 1992, page 142) :

« [Les principes de base sont les suivants] : analyse factuelle sur documents originaux comportant le roman initial, les différentes versions du scénario, les croquis de Lang pour les emplacements de caméra, certains éléments de correspondance et enfin la version définitive du film. Tout cela est à son tour fondé sur une exigence : fournir au lecteur les outils de l'analyse en reproduisant les documents originaux (scénario, croquis et photogrammes). Et c'est ici la très grande beauté de l'entreprise : prendre un cinéaste très connu et très commenté, prendre un des ses films américains les plus réputés dans le genre le plus couru, et hors des a priori en vigueur, en se maintenant à égale distance de l'auteurisme européen et de l'analyse institutionnelle américaine, conduire une analyse qui fait confiance aux documents et à leur logique pour renouveler sur des bases entièrement réexaminées la vision que l'on peut avoir du travail du cinéaste. Il faut encore ajouter à cette beauté trois choses : tout d'abord la construction de tableaux comparatifs exhaustifs et remarquablement mis en page qui rendent perceptibles les rapports entre les modifications, mais qui permettent également au lecteur (c'est une des ambitions démocratiques du livre) de faire son propre parcours et sa propre analyse ; ensuite la présence des croquis de mise en scène qui rendent enfin sensible cette idée du travail d'architecte que Lang appliquait au cinéma (...) ; enfin (mais ce n'est pas le moins important) 355 photogrammes pris sur la copie définitive (au British Film Institute) et qui illustrent au millimètre près le propos du texte. »

 

Unique édition du Double Scénario chez Fritz Lang : Paris, Armand Colin, 1991.

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