Séance 5 bis : à quoi sert le hors-champ ?

Séance pour les grands


Objectif

Dans cette séance, l’idée est de montrer aux élèves que le cadre choisi par l’artiste montre ce qui est à l’intérieur du cadre tout autant qu’il occulte ce qui est au dehors et que souvent, ce qui apparaît dans le cadre entre en tension avec ce qu’il y a en dehors de ce cadre.

Prenons l’exemple d’un personnage montré en gros plan en train de hurler, les yeux exorbités (Shining, Stanley Kubrick, 1980).
Le spectateur lambda, a fortiori un enfant, pourra être très perturbé par ce plan car, immanquablement, un personnage montré en gros plan communique plus facilement ses émotions au spectateur. Le spectateur qui partage cette frayeur s’identifie à ce personnage. Or à ce moment précis, le personnage en sait plus que le spectateur sur la nature de ce qui lui fait peur et sur la position de cette menace. Pour le spectateur, cette menace est invisible puisque hors du cadre, mais sûrement plus terrifiante encore car elle peut se situer dans son dos. Ainsi, ce qui est en dehors du cadre et qu’on appelle le hors-champ, fait travailler l’imagination du spectateur.

Le travail sur le hors-champ est donc au cœur de cette séance.


Début de la séance

Partons de la peinture avec deux auteurs américains dont le recours au hors-champ est la marque de fabrique : Norman Rockwell et Edward Hopper.

  • Soleil du matin - Edward Hopper – 1952 

- Décrire ce tableau (décor, position du personnage, activité du personnage…)

- Pourquoi le hors-champ est important dans ce tableau ? Que signifie-t-il ?

- Quelle aurait été la différence si le personnage de la femme assise sur le lit n’avait pas regardé par la fenêtre ?

Ici, on voit bien que c’est la mise en relief du hors-champ qui ajoute du sens à la position de cette femme, à sa posture. Elle n’est pas seulement assise, elle semble attendre quelque chose, penser à quelqu’un etc. C’est le rapport entre son visage grave/fermé et cette tension visuelle avec le hors-champ à droite du cadre qui produit du sens. 

  • Four-Lane-Road - Edward Hopper – 1956

Nous sommes dans une situation similaire. Ici, l’homme dans le fauteuil semble regarder le soleil couchant calmement. Hopper ajoute le personnage de la femme dont la tête apparaît à la fenêtre d’un intérieur en hors-champ pour souligner l’idée de l’évasion. Il est dehors, il regarde le ciel vers l’ouest, et laisse derrière lui la maison, le foyer, une certaine forme d’oppression. D’ailleurs, il n’envisage même pas cette femme derrière lui.
Bien entendu, on ne peut pas faire comprendre tout cela à des enfants, mais on peut envisager de les laisser parler et donner leurs impressions.

 

L’importance du hors-champ se révèle déterminante chez Norman Rockwell.
  • Ce problème qui nous concerne tous - Norman Rockwell - 1964

Norman Rockwell (pro)pose un regard sur la ségrégation aux États-Unis. Montrer le tableau aux élèves et leur demander de le décrire, de le commenter, de réagir. Outre la position centrale de cette fillette noire habillée d’une robe blanche éclatante, les élèves ne manqueront pas de remarquer la tomate écrasée et surtout les têtes coupées des quatre hommes qui entourent la fillette.

Dans un parcours pédagogique sur le cadre, il convient de prendre un peu de temps pour commenter ce choix esthétique fort, d’autant que le tableau est original dans sa forme.

Les plus perspicaces d’entre eux remarqueront les mots « nigger » et « KKK » en haut à gauche. Pensez à leur expliquer la ségrégation aux États-Unis dans les années 1960.

Il reste une question : comment expliquer le titre ? Les élèves peuvent là encore réagir et commenter. Pour répondre à cette question, il nous faut en poser une autre : qui a lancé la tomate contre le mur ?

Il faut réussir à les amener à dire que la tomate a été envoyée par l’une des personnes qui regarde le tableau, c’est-à-dire que l’acte de racisme contre cette fillette vient de nous spectateurs, nous individus.
Par une utilisation très spéciale du hors-champ (ce qui importe et qui est invisible, c’est ce qui est devant la toile), Norman Rockwell fait entrer le spectateur dans la toile et le transforme en une composante active et non passive. Cet acte de racisme est d’une grande banalité, il est la norme en 1964 (ni la fillette, ni les quatre hommes autour d’elle n’ont réagi), mais nous, spectateur, allons-nous laisser faire encore longtemps ? Le questionnement de Norman Rockwell gagne en puissance par l’utilisation du hors-champ.

  • Justice du sud, meurtre dans le Mississippi - Norman Rockwell – 1965

C’est dans un tableau peint l’année d’après que Norman Rockwell affine sa charge contre l’oppresseur des Afro-Américains.

L’analyse qui suit peut-être réalisée à partir des remarques/réponses des élèves. Ils décrivent le tableau (personnages, actions…) et remarquent très vite que l’homme debout au centre n’est pas en train de tuer l’homme qu’il tient dans ses bras. Il le soutient et regarde vers la droite du cadre une menace qui s’approche en hors-champ. Cette menace fait l’objet d’un traitement sur la toile puisque son ombre apparaît en bas à droite.

Le fait que la menace soit en hors-champ augmente la peur qu’elle génère. On imagine qui se cache derrière ces ombres, et imaginer une menace est parfois bien pire que voir la menace effectivement. Bien entendu on tremble devant le grave danger que court cet homme venant en aide aux deux autres.

Ces analyses de tableaux doivent aider les élèves à comprendre que le hors-champ peut susciter chez le spectateur des émotions très fortes (le suspense, la peur, l’angoisse…).

Depuis que nous sommes petits, nous avons peur des monstres sous notre lit, des choses que nous ne pouvons voir.

C’est par exemple ce qu’a compris Steven Spielberg quand il réalise Les Dents de la mer en 1978. Montrer l’affiche du film et une photo et les laisser commenter.



Montrer enfin un autre exemple tiré de la BD : dans cette image tirée du Crabe aux pinces d’or, la boîte que Tintin vient d’ouvrir est tout à fait visible pour le lecteur, mais pas son contenu. Le contenu de la boîte qui semble sidérer Tintin est hors-champ. L’intérêt du lecteur pour le contenu de la boîte est ainsi augmenté. 

Activité finale

Donner l’image intitulée « regarder par le trou de la serrure » et demander aux élèves de dessiner ce que le personnage voit.
Donner enfin une autre image à coller sur une feuille et demander aux élèves de dessiner le hors-champ.


David Ridet, enseignant missionné auprès de Ciclic par le Rectorat de l’académie d’Orléans-Tours (sept. 2014).