Nouvelle Vague en série - 1. Jean-Luc Godard

À partir de la seconde moitié des années 1960, les films de Jean-Luc Godard acquièrent une réputation d'intellectualisme qui les éloigne du grand public. Cette singularité godardienne, perçue comme « difficile », va de pair avec le fait que l'auteur de La Chinoise est sans doute, parmi les cinéastes de la Nouvelle Vague, celui qui a le moins fait preuve d'un « esprit de série », même si l'on en trouve trace dans certains de ses films.

En 1960, À bout de souffle, le premier long métrage de Godard, s'ouvre par une dédicace à la Monogram Pictures Corporation, société de « l'Âge d'or » des studios hollywoodiens qui produisait des films d'action à petit budget, dont des séries de films courts consacrés à des héros maison tels que Charlie Chan, le détective d'origine chinoise successivement incarné par Warner Oland, par Sidney Toler et par Roland Winters.

En 1965, Jean-Luc Godard réalise Alphaville, qui lorgne à la fois vers le film policier et le cinéma de science-fiction, dans lequel il met en scène le personnage de Lemmy Caution (le titre complet est Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution). Ce détective créé par l'écrivain anglais Peter Cheyney est transposé au cinéma à partir de 1953 dans une série de films français initiée avec La Môme vert-de-gris. L'agent du FBI dur à cuire y est interprété par Eddie Constantine, qui reprend le rôle dans le film de Godard. À cette référence à un cinéma de série très populaire, Godard mêle une inspiration plus prestigieuse, celle du cinéaste allemand Fritz Lang (qu'il avait mis en scène dans son propre rôle, deux ans plus tôt, dans Le Mépris, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli). Fritz Lang a lui-même donné naissance à un personnage de feuilleton cinématographique, le diabolique Docteur Mabuse, et c'est à cette veine sérielle du cinéma de Lang qu'Alphaville fait penser, à la faveur d'un dispositif d'interrogatoire qui rappelle une scène du Testament du Docteur Mabuse (1933).

De cet entrecroisement de références à la fois populaires et savantes (Lemmy Caution, Fritz Lang, le Docteur Mabuse, le film policier et d'anticipation) où l'esprit de série domine, Godard tire un film pour sa part extrêmement singulier, qui revendique ouvertement son caractère poétique.

Malgré ce caractère unique et a priori peu sériel d'Alphaville, Godard reprendra le personnage de Lemmy Caution et son interprète, vingt-cinq ans plus tard, dans Allemagne année 90 neuf zéro.

 

Sur le recours de Fritz Lang à des formes sérielles et populaires, cf. le lien ci-contre : texte de Nicole Brenez intitulé « Symptôme, exhibition, angoisse », sous-partie « Qualités spéculatives d'une forme sérielle ».

 

Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.

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