Nouvelle Vague en série - 2. Jacques Rivette

Si Jean-Luc Godard s'inspire de la veine feuilletonnesque de Fritz Lang, Jacques Rivette, un des plus invétérés cinéphiles ayant fait leurs classes à la Cinémathèque française et aux Cahiers du cinéma, remonte encore plus aux sources du cinéma sériel : les films de Louis Feuillade, auteur de trois des plus célèbres séries cinématographiques des années 1910, Fantômas (cinq épisodes, 1913-1914), Les Vampires (dix épisodes, 1915-1916) et Judex (douze épisodes, 1917) — ces deux derniers relevant plus particulièrement du « serial », dont l'intrigue se poursuit sur plusieurs épisodes comme dans le feuilleton littéraire (alors que chaque épisode de Fantômas constituait un récit bouclé).

Les Vampires (avec le plus méconnu Tih Minh, qui date de 1919) constitue peut-être la quintessence des serials de Feuillade. Il aurait pu reprendre le titre des Mystères de Paris (le très populaire roman-feuilleton écrit par Eugène Sue en 1842-1843) : les aventures de l'intrépide Philippe Guérande, du pittoresque Mazamette, de la vénéneuse Irma Vep et du Grand Vampire se succèdent dans une atmosphère littéralement surréaliste, faisant sourdre le fantastique de la réalité du décor parisien, et de certains fétiches urbains — particulièrement les toits — dont Jacques Rivette saura se souvenir dès son premier long métrage, Paris nous appartient (1961), qui comme Les Vampires commence dans une ambiance de terrifiant complot.

Paris nous appartient dure 140 minutes : c'est le plus long des premiers longs métrages réalisés par les cinéastes de la Nouvelle Vague. Jacques Rivette ira bien plus loin par la suite puisque Out 1, réalisé en 1971, en dure 760, ce qui en fait l'un des plus longs films de fiction jamais tournés. Dans plusieurs de ses films et dans Out 1 en particulier, cette durée longue permet à Rivette de renouer avec la temporalité propre au serial, mais à l'échelle d'un unique film. À l'origine, cependant, ce très long métrage était destiné à être également montré à la télévision en douze épisodes, mais il fut refusé par l'ORTF et finalement télédiffusé en huit épisodes dans les années 1990.

Film-serial, Out 1 présente un grand nombre de personnages et d'intrigues gravitant, entre autres choses, autour de quelques obsessions (le complot mystérieux), lieux et signes de reconnaissance (Paris et ses toits, une fois de plus ; les incarnations de la Nouvelle Vague que sont l'acteur Jean-Pierre Léaud et le cinéaste Éric Rohmer — en spécialiste de Balzac). En voici quelques courts aperçus.

 

Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.

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