Séance 1 : Raconter une histoire

Si l’idée de jouer peut renvoyer aux rôles que nous endossons, au quotidien, selon les espaces sociaux dans lesquels nous évoluons, les interlocuteurs face auxquels nous nous trouvons ou les circonstances dans lesquelles nous sommes plongés ; le terme renvoie aussi à ce plaisir, dès l’enfance, de (se) raconter des histoires et de s’inventer des identités (« on va jouer au… »).

« Le principal, c’est le plaisir », affirme Olivier Gourmet dans un entretien à la revue Positif (Positif n°617-618, juillet-août 2012, p. 55). Plaisir de créer, de raconter, d’être regardé mais aussi de procurer un plaisir sensible à un spectateur. Si on est tenté de voir l’acteur comme vecteur du récit parce qu’il vient prêter son corps, sa voix à un personnage, il ne faut pas oublier que sa corporéité même, sa présence, son apparence, ses déplacements, ses silences sont aussi source d’émotion et peuvent également raconter une histoire, stimuler l’intérêt et l’imaginaire de celui qui le regarde : le visage immuable de Buster Keaton, les transformations de Johnny Depp, les rougissements d’Adèle Exarchopoulos, les yeux plissés de Clint Eastwood, les grimaces de Toshiro Mifune, les acrobaties de Denis Lavant sont autant d’éléments qui peuvent nous toucher (nous faire rire, nous émerveiller) au-delà de la réalité ou de la psychologie d’un personnage.

Photogramme du film La vie d'Adèle

Dans les débuts de la théorie sur le jeu de l’acteur de cinéma, ce dernier n’est ainsi pas nécessairement associé au personnage. Qualifié de modèle par les formalistes russes, il est avant tout un corps, puissance graphique dont on va inscrire les mouvements à l’écran : ce ne sont pas des qualités d’expression spécifiques ou une capacité à « bien » dire un texte ou à inscrire ses actions dans une sphère du reconnaissable qui le rendent intéressant à l’image ou sur scène, mais (aussi, parfois) la gestuelle qu’il invente, sa manière de marcher, de s’asseoir, de sourire… Si sa façon de s’approprier un personnage, de nous raconter son histoire, et de nous raconter une histoire à travers lui pourra nous séduire et nous intriguer, c’est parfois simplement l’authenticité d’une présence qui nous touche, et qui pourra se manifester d’un nombre incalculable de manières : une expressivité exacerbée, une logorrhée inépuisable, une impassibilité à toute épreuve ou une apparence particulièrement outrancière. Les manières d’entrer et de jouer (avec) un personnage sont nombreuses ; les outils et exercices pour apprendre à s’amuser, à éveiller et maintenir en soi le désir de créer et partager aussi. En voici quelques-uns.

Pratique

Échauffement

Avant chaque séance, l’exercice du samouraï permet à la fois de se concentrer et de mettre en jeu le corps et la voix.

Schéma explicatif de l'exercice du samouraï

Le samouraï : En cercle debout

  1. L’adolescent, mains jointes et bras tendus lance un geste large imitant un coup de sabre en direction d’un autre du cercle à distance en criant à pleins poumons « HA ! »
  2. Celui ainsi désigné lève les deux bras en l’air en criant : « HO ! »
  3. Les deux élèves de chaque côté de celui qui a reçu le coup et crié « HO ! » fendent l’air à l’horizontal de leur bras tendus mains jointes vers l’abdomen de celui-ci (sans le toucher) imitant là aussi un sabre en criant : « HI ! »
  4. Celui qui a reçu à distance le coup, resté les bras en l’air, lance un nouveau coup vers un autre en criant : « HA ! », et ainsi de suite.

L’exercice dure, sans arrêt, très rapidement, gestes et cris larges, d’abord en « rodage » puis quand tout le monde est chaud, plus rapidement jusqu’à éliminer ceux qui ratent, sont en retard, se trompent de sons, de gestes, etc.

Pratique 1 (après échauffement) : Raconter des histoires

Objectifs : Ritualiser le moment de passage à l’acte du jeu.  Sortir du quotidien. Permettre un « ailleurs », un lieu/moment de tous les possibles.

On crée un cercle de participants debout. Au-delà du côté pratique, il crée une zone symbolique : celle des veillées des contes ancestraux, des rituels, du ring, de l’estrade, etc.

Schéma explicatif du cercle de contes

1) Façon battle

L’un après l’autre, dans l’ordre de leur place, il est demandé aux jeunes de quitter le cercle des spectateurs et d’entrer au centre. Sans hésitation, celui qui est au centre doit regarder les spectateurs dans les yeux pour établir le contact, faire un geste précis, un mouvement, un enchaînement d’actions de son choix, sans parole mais avec des sons possibles (cris, souffles, mots) correspondant à quelque chose qui l’a marqué, le représente.

Ce mouvement est réédité plusieurs fois, le même, en pivotant pour s’adresser à tous puis il sort du cercle.

L’encadrant note avec le groupe que chaque intervention est en soi un récit.

2) La chaîne

Un ou plusieurs, selon le temps imparti et le désir de chacun, reprend le centre et le « récit » additionnant plusieurs gestes mémorisés par lui, proposés au passage des autres.

L’encadrant note avec le groupe que le récit est renforcé, enrichi par le mouvement / la chorégraphie.

3) Variante

Un élève revient au centre et transpose le récit corporel avec ses mots et phrases.

Noter que chacun peut raconter différemment son propre ressenti et indiquer aux élèves l’avancée et les éléments intéressants qu’ils ont proposés.

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Auteurs : Hélène Valmary, Gilles Masson.

Ciclic, 2022.