9. Invoquer le passé

Alfred Hitchcock a la réputation, qu'il a lui-même entretenue, d'être un cinéaste essentiellement visuel, minimisant le dialogue au nom de son refus de faire de la « photographie de gens qui parlent ». En réalité, ses films sont truffés de moments très bavards, voire de longs monologues, juxtaposés à d'autres scènes effectivement quasi muettes. Mais cette parole abondante ne sert pas seulement, et pas essentiellement, à délivrer des informations : dans bien des cas, elle constitue en elle-même une expression verbale du souvenir, une sorte d'évocation (ou d'invocation, au sens magique du terme) du temps — se présentant, surtout dans les monologues, comme un pur écoulement temporel.

On pourrait citer un grand nombre de films, mais bornons-nous à trois exemples principaux, dans chacun desquels on notera un parti pris de réalisation : dans Les Amants du Capricorne le filmage en plan unique du long monologue ; dans Sueurs froides l'extinction progressive de la lumière ambiante au cours du récit du libraire, à mesure que l'histoire de Carlotta Valdes se fait plus pathétique ; dans Psychose la qualité particulière de silence qui entoure le récit de Norman Bates.

Hitchcock alla jusqu'à quasiment terminer Psychose par un long récit purement verbal, a priori anti-commercial (ce qui n'empêcha pas le film d'être son plus grand succès public) : ayant recueilli le témoignage de la personnalité « maternelle » de Norman Bates, un psychiatre reconstitue l'histoire de celui-ci, devenant le vecteur de la mémoire jusqu'alors non dite d'un esprit troublé.

NOTA : les références des extraits de films cités sont mentionnées à la fin des montages vidéo qui en sont composés.

SUITE


Auteur : Jean-François Buiré. Ciclic, 2015.