Les corps subtils de Tropical Malady

Au cinéma, le corps fait écran. L'impression d'un monde commun, à la fois familier et autre, passe par la présence-absence du corps. Pas de cinéma sans corps mais pas de corps à l'écran, seulement ce qui en subsiste, sa trace, son empreinte. Ainsi, le rapport que le cinéma instaure d'emblée entre le corps et sa représentation relève d'une forme de fantastique : tout corps à l'écran est une apparition.

Puisant dans un répertoire de figures qui emprunte également à d'autres genres (épouvante, merveilleux, science-fiction), les films qu'on considère comme relevant du « cinéma fantastique » imaginent souvent des corps incertains, improbables ou inquiétants, qui bouleversent notre réalité. Les films du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul abritent bien de telles créatures : fantômes, esprits, animaux doués de paroles, corps hybrides ou monstrueux. Pour autant, leur apparition ne fait ni rupture ni « scandale » avec le monde que nous connaissons, mais constitue tout au contraire l'affirmation paisible d'un mystère que le cinéma, par sa nature spontanément fantastique, est à même de concevoir.

Dans Tropical Malady (2004), « l'étrange créature » du titre original (Sud Pralad) se présente d'abord comme un corps nu et mutique, qu'aucune métamorphose plastique ou cosmétique ne dénature. Rien ne distingue cette figure d'un corps ordinaire et c'est paradoxalement la reconnaissance de cette forme semblable aux autres qui suscite un sentiment d'étrangeté. Son apparition se situe sur une frontière indiscernable, séparant le familier d'un autre qui aurait pris l'apparence du même.

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Autrice : Delphine Simon-Baillaud, enseignante de cinéma et vidéaste. Supervision : Jean-François Buiré. Ciclic, 2016.