Exploration du cinéma expérimental

Séance 1 - Introduction : explorer le cinéma

En démantelant le dispositif classique du cinéma, le cinéma expérimental permet d'en apprécier les fondamentaux : support pellicule, montage, projection... Parce qu'il transforme les codes narratifs institués, le cinéma expérimental permet en outre de revoir les règles du cinéma et de repenser nos modes de perception. Il permet également de découvrir les rapports qu'entretient le cinéma avec les autres arts, que ce soit les arts plastiques, la poésie, la danse, la musique...

Aborder le cinéma expérimental, c'est aussi développer une relation de jeu avec la création cinématographique. Pour des enfants qui ne possèdent pas nécessairement les normes de réalisation d'un film (mais qui en voient et en connaissent les résultats), l'approche du cinéma expérimental permet de les décomplexer en leur proposant une forme non normative, à la fois enthousiaste et très personnelle de la création cinématographique, dans laquelle ils peuvent plus aisément faire advenir leur sensation tout en accédant à des questions de fond sur le cinéma.

Ce parcours sera donc l'occasion d'élargir la vision que les enfants peuvent avoir du cinéma, en montrant des films aventureux mais tout à fait accessibles.
À chaque séance on montrera un film, on en parlera, puis on se lancera dans une activité pratique en lien avec le film.

Un film pour commencer : Interlude de Joost van Veen 


Interlude
(2005, Pays-Bas, 2 min, musique : Chris Cole) a été réalisé et développé à la main par le cinéaste hollandais Joost van Veen : des poissons ont été filmés en train de nager, et le cinéaste a travaillé au moment du développement de la pellicule pour obtenir un effet de dissimulation, comme si les poissons cherchaient à se camoufler.
Qu'avons-nous vu dans ce très court métrage ? Quel lien entre le motif principal (les poissons) et les éléments qui viennent perturber notre vision ? Nous voyons nager lentement des poissons qui semblent vouloir échapper à notre regard. Ils se dissimulent derrière des méandres sombres, sorte d'algues ou de vagues ombreuses qui les rendent imperceptibles. Des bulles d'air et des particules flottantes participent également à leur camouflage. Interlude rend compte de l'élégance des poissons et cherche à figurer les mondes aquatiques en utilisant les particularités de la pellicule, le développement artisanal de celle-ci permettant de produire des aspérités.
Pour ce poème visuel (où la musique ajoute beaucoup à la douceur des images), Joost von Veen a utilisé de la pellicule permettant d'obtenir des contrastes forts entre le noir et le blanc. Ce choix lui permet d'assimiler deux univers : celui liquide des poissons et celui chimique de l'émulsion de la pellicule. Les poissons filmés sur pellicule habitent d'autres profondeurs, celles de l'émulsion. Motif, fond et support œuvrent ensemble dans un même but esthétique : représenter le trouble et la beauté des fonds marins sous une forme irréelle, comme dans un rêve.

Après avoir montré ce très court film, lançons la discussion avec les enfants avec quelques questions :
- Avez-vous déjà vu des films de ce type ?
- Quelles différences avec des films plus habituels sur les animaux ?
- Quelles sensations avez-vous éprouvées à la première vision ?
- Qu'avez-vous vu ? Des poissons, mais quoi d'autre ?
- S'agit-il de poissons réels ou sont-ils fabriqués par le cinéaste ? Cinéma d'animation ou prise de vues réelles ?

Après cette première expérience, on pourra tenter de cerner le cinéma expérimental. On peut le définir par opposition au cinéma commercial, ou grand public, bien que certains cinéastes populaires (Hitchcock, Murnau, Godard, Lynch...) n'hésitent pas à expérimenter des formes inhabituelles.
Mais plutôt qu'une définition par la négative, on peut affirmer le caractère ouvert, libre, innovant et indépendant du cinéma expérimental. Dominique Païni s'est essayé à le définir : « On peut qualifier d'expérimental tout film dont la technique utilisée, en vue d'une expression renouvelée de l'image et du son, rompt avec les traditions établies* ».
Cette « expression renouvelée » concerne autant la réalisation que la diffusion des films (en salle traditionnelle ou lors de performances, d'installations dans des lieux plus incongrus). Se plongeant aussi bien dans les voies de l'abstraction, du collage, de la reprise d'images, de nouveaux modes de narration que dans l'étude des relations au corps, à la lumière et au contraste, à la fragmentation des espaces, à la dilatation du temps ou encore à la spécificité du support (pellicule, vidéo), le cinéma expérimental investit toutes les possibilités du cinéma. Et il a pour volonté de toujours dépasser ses propres limites. Le titre de l'un des films du cinéaste lettriste** Maurice Lemaître, réalisé en 1970, l'annonce clairement : « Toujours à l'avant-garde de l'avant-garde, jusqu'au paradis et au-delà ».

* Dominique Païni in Le Temps exposé ou le cinéma de la salle au musée, ed. Cahiers du Cinéma-essais 2002 p. 56.
** Voir l'entrée « Lettrisme » dans la frise consacrée au cinéma expérimental.

Atelier

Pour prolonger la vision poétique d'Interlude, on peut faire s'exprimer les élèves par le dessin ou par l'écriture :
- Évoquez le film par un dessin : dire que l'objectif est moins d'être fidèle aux images du film, qu'à son ambiance
- Travaillez sur le voilage d'une image : par exemple en plaçant au-dessus d'un dessin sur papier un calque ou un rhodoïd avec des éléments qui cachent un peu le dessin.
- Écrivez un poème en deux vers, inspirés par ce film de deux minutes


Auteur : Sébastien Ronceray. Ciclic, 2015.